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non seulement entre deux religions, mais entre deux conceptions de la vie religieuse, sont de quelques années à peine antérieures à l’édit de Milan : Constantin n’a fait, en quelque sorte, que transposer en style législatif la morale de Lactance, qui lui-même n’avait fait que reprendre la doctrine commune de tous les défenseurs du christianisme.

C’est en vain que, pour nier cette filiation, on chercherait un argument dans le vocabulaire théologique de l’édit. Il est vrai que ce vocabulaire est plus philosophique que religieux, plus déiste que chrétien : avec ses termes très généraux et ses épithètes vagues, « divinité, » « puissance divine, » « faveur céleste, » il peut convenir aussi bien à un disciple de Platon ou de Zénon qu’à un adorateur du Christ ; il pourrait même convenir à un païen, à un de ces païens, si nombreux alors, qui considéraient les dieux du polythéisme comme des émanations diverses d’un être suprême et unique. Il est tout à fait voisin de la phraséologie qu’on rencontre, à la même époque, dans des œuvres profanes comme les Panégyriques, qu’on retrouvera plus tard dans les écrits de païens avérés, comme Maxime de Madaura, le correspondant de saint Augustin. Le style impérial, en un mot, ne rend aucun son proprement chrétien. Mais cela ne veut pas dire que la pensée ne soit pas chrétienne. Les écrivains chrétiens eux-mêmes, au moins lorsqu’ils s’adressent au grand public et non aux conventicules des fidèles, emploient volontiers des locutions qui ne sont pas beaucoup plus caractérisées. Minucius Félix donne de son Dieu une définition si peu confessionnelle, si proche du pur déisme, qu’on s’est demandé s’il connaissait bien la religion qu’il prétendait défendre. Lactance commence par présenter la doctrine chrétienne comme un monothéisme spiritualiste, analogue à celui des philosophes anciens, et ce n’est que plus tard qu’il superpose à cette religion naturelle la révélation scripturaire. Même Tertullien, si fougueux pourtant, si peu circonspect, parle un langage plus philosophique dans ses apologies que dans ses autres livres. L’aspect éclectique, un peu flou, de la terminologie que nous observons dans l’édit de Milan ne doit donc pas nous étonner, ni nous faire douter de son origine chrétienne. Pas plus dans la forme que dans le fond, il n’y a désaccord entre ce manifeste et la tradition des apologistes. Constantin a reçu des Pères de l’Église sa conception d’une