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lire ces lignes, on se figurerait Constantin comme un païen qui admet l’existence d’un grand nombre de dieux, et qui redoute d’en oublier un ; c’est plutôt un déiste, qui croit à une seule divinité, — très mal définie d’ailleurs, — et sa grande frayeur est de mal l’honorer. L’idée dominante, l’idée neuve, dans l’argumentation de l’édit, c’est qu’un culte forcé est un culte sacrilège, un outrage, et non un hommage, à l’être céleste qu’on prétend servir. « Il faut que la divinité suprême, dont nous pratiquons la religion avec un libre esprit, cujus religioni liberis mentibus obsequimur, puisse nous témoigner en toutes choses sa faveur et sa bienveillance. » Voilà la phrase qui nous parait contenir la pensée essentielle de l’édit : l’alliance intime entre la notion de religion et celle de liberté.

Or cette alliance, c’est précisément le thème favori des apologistes du christianisme depuis près de deux siècles. Tous redisent à l’envi que le culte divin doit être pratiqué en toute indépendance, non pas seulement pas respect pour l’homme, mais plus encore par respect pour la divinité, et qu’il n’est pas de l’essence d’une religion de vouloir en contraindre une autre, non est religionis cogere religionem. On trouverait partout, chez Minucius Félix, chez Tertullien, chez Arnobe, d’éloquens développemens sur ce point, mais il suffit de citer quelques paroles de Lactance, parce qu’il a été le témoin de la dernière et de la plus générale persécution, et parce qu’il a vécu dans l’entourage de Constantin : « Il n’est point besoin de recourir à la violence et à l’injustice, car la religion ne peut être contrainte, religio cogi non potest. Ce sont les paroles, non les coups, qui peuvent agir sur la volonté... Nous autres, nous ne retenons personne à contre-cœur : Dieu n’a que faire de ceux qui n’ont pas la piété et la foi. On défend sa religion, non en tuant, mais en mourant, non par la cruauté, mais par la patience. La défendre par le sang et la torture, ce n’est plus la défendre, c’est la souiller. Il n’y a rien de si volontaire que la religion... Les païens détruisent eux-mêmes leurs dieux, en se défiant de leur pouvoir : ils sont plus impies que les athées. Un sacrifice n’en est plus un quand il est arraché de force : s’il n’est spontané et sincère, il devient un sacrilège... Nous ne voulons pas pour notre dieu d’adoration contrainte, et, en cas de refus, nous ne nous irritons pas : nous avons trop de confiance dans son pouvoir. » Ces maximes, qui attestent avec une netteté si rigoureuse l’antithèse,