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confessionnelle de toutes, est au contraire celle où se marque le mieux son souci de neutralité.

Cette neutralité est d’ailleurs, ne l’oublions pas, assez différente de celle que nous nous représentons aujourd’hui, sinon dans les conséquences auxquelles elle aboutit, du moins dans quelques-uns des motifs sur lesquels elle s’appuie. Elle ne repose pas, par exemple, sur cette opinion, de plus en plus répandue dans les sociétés modernes, que l’Etat a les mains liées en matière religieuse par son incompétence, et, si l’on peut dire, par son agnosticisme nécessaire : l’auteur de l’édit ne considère nullement que les questions théologiques soient un domaine étranger et clos, où il ne puisse pénétrer. Il ne paraît pas non plus très préoccupé de ce que nous appellerions les droits de l’individu : s’il juge les diverses croyances dignes de respect, ce n’est pas parce que chacune d’elles est l’expression et comme le prolongement d’une personnalité humaine. L’argument de l’utilité publique, toujours si puissant sur l’esprit des Romains, lui est moins inconnu : il n’oublie pas de signaler que la tolérance qu’il accorde est « en harmonie avec la tranquillité de son siècle, » pro quiete temporum nostrorum. Mais la raison sur laquelle il insiste le plus, qu’il répète sans cesse, à la fin de l’édit comme au début et au milieu, celle qui par conséquent a dû avoir le plus de poids sur lui et sur ses contemporains, c’est la nécessité de ne pas mécontenter la divinité en proscrivant un seul des cultes qui lui sont rendus. Il veut que « tout ce qu’il peut y avoir de substance divine dans le ciel, » — on notera la généralité très abstraite des termes, — soit bien disposé pour lui et pour ses sujets, que la « faveur divine, » qu’il a déjà éprouvée au cours de ses précédentes entreprises, continue de lui être assurée.

Il y a là une manière de voir très éloignée de la nôtre, et que les historiens même les plus perspicaces n’ont pas toujours bien saisie. Ainsi M. Boissier est porté à retrouver dans l’édit de Milan un scrupule analogue à celui qui faisait accumuler dans les prières de la vieille Rome tous les noms des divinités, par crainte d’en froisser une et de susciter sa colère. ; « Constantin veut qu’on respecte tous les dieux, de peur de s’en faire des ennemis ; il espère que, si aucun d’eux n’a lieu d’être mécontent, ils s’uniront ensemble pour assurer le bonheur d’un Empire qui les traite si bien. » Ce n’est pas tout à fait exact : à