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l’époque des Scipions ou de César, succède une doctrine juridique beaucoup plus exclusive. « Quiconque aura fait quoi que ce soit qui inspire aux esprits légers des hommes une terreur superstitieuse de la divinité, le divin Marc a ordonné de le reléguer dans une île. » « Ceux qui introduisent des religions nouvelles, inconnues pour la pratique et la doctrine, sont déportés s’ils sont de condition élevée, mis à mort s’ils sont roturiers. »

Ces textes de lois, qui datent des Antonins, sont d’une élasticité terrible : ils autorisent toutes les interdictions, toutes les répressions de cultes nouveaux. Il n’est guère possible de douter qu’ils n’aient été suggérés par le besoin de lutter contre le christianisme, et que par conséquent le contact entre l’Etat et l’Église naissante n’ait marqué dans la politique religieuse de Rome un « moment » décisif. La législation latine, jusqu’alors, avait été accueillante, en pratique, sinon en théorie : c’est contre le christianisme qu’elle est devenue intolérante pour la première fois. — C’est grâce à lui aussi qu’elle allait revenir à la tolérance, mais à la vraie tolérance cette fois, à celle qui a sa source, non dans une indifférence fatiguée, mais dans une large et noble conception de la liberté humaine.


III

Nous voici ramenés à cet édit de Milan, dont nous pouvons mieux mesurer maintenant l’originalité historique. Rapprochées des textes législatifs que nous citions tout à l’heure, les dispositions qu’il renferme vont, par contraste, s’illuminer d’un vif éclat. « Nous donnons aux chrétiens et à tous la libre puissance de suivre la religion que chacun préfère, liberam potestatem sequendi religionem quam quisque voluisset, » telle est la première phrase de ce manifeste, et elle est corroborée, à trois ou quatre reprises, par des affirmations analogues. « Libre et absolue faculté de pratiquer sa religion, « « puissance absolue et libre de culte, » « libre faculté de pratiquer ce qu’on aura choisi, » il semble que l’auteur de l’édit ait peur de ne pas se faire assez comprendre, de ne pas assez convaincre les fonctionnaires païens ou de ne pas assez rassurer les chrétiens persécutés, et qu’il veuille accumuler les formules les plus énergiques. Ce luxe de