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une véritable mauvaise foi pour voir en eux des perturbateurs de l’ordre public. Aussi bien n’est-ce point à ce titre qu’on les a accusés et punis. Ce n’est jamais ni pour des actes ni pour des propos contraires à la sécurité publique que s’engagent les procès dirigés contre eux. Aussi bien dans les textes païens, — comme la lettre de Pline, — que dans les documens ecclésiastiques, le grief mis en avant est toujours, non pas une infraction à la loi civile, mais, purement et simplement, le refus de participer au culte officiel. Ils sont dénoncés, interrogés, suppliciés, non comme destructeurs de l’État, mais comme contempteurs des dieux.

Ce n’est qu’une apparence, dit M. Bouché-Leclercq : au fond, l’autorité romaine tenait fort peu à ce que les accusés brûlassent devant les idoles quelques grains d’encens ; seulement, elle les savait dangereux, sujets mécontens ou infidèles, et pour voir s’ils étaient réellement chrétiens, c’est-à-dire réellement révolutionnaires, elle usait de ce critérium commode, expéditif et tangible. — C’est lui prêter, ce semble, un calcul bien compliqué. Rien ne l’empêchait, si elle redoutait dans le christianisme une doctrine antisociale, de le poursuivre pour ce motif, — assez grave par lui-même, certes ! — sans recourir à ce détour dont on ne voit nullement l’utilité. Ses procédés de gouvernement ou de police, en général, étaient plus brutaux que tortueux, et, envers des gens aussi peu puissans, aussi peu considérés que les chrétiens, elle n’avait aucun besoin de s’abriter derrière un faux-fuyant. Il est donc plus sûr de prendre la réalité telle que les faits historiques nous la montrent. Toutes les raisons que nous avons vues jusqu’ici, — peur des réunions clandestines, calomnies populaires, contresens sur la doctrine, — ont pu contribuer à rendre le christianisme odieux aux gouvernans, mais n’ont été que des causes accessoires de sa condamnation : la cause essentielle, c’est l’hommage aux dieux exigé systématiquement d’une part, obstinément refusé de l’autre.

Pourquoi s’en étonner au surplus, quand on songe à l’union, si intime depuis le règne d’Auguste, entre l’idée impériale et l’idée religieuse ? En somme, toutes les discussions auxquelles se