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christianisme, volontairement, systématiquement, avec une application qui ne peut guère être que l’effet d’un dessein politique. Ici il est impossible d’écarter les « raisons d’Etat : » — il reste seulement à chercher ce qu’elles étaient au juste, et ce qu’elles valaient.

Nous ne pouvons douter que Decius et Dioclétien, — et déjà avant eux Septime-Sévère, et peut-être même Marc-Aurèle, — aient estimé le christianisme dangereux pour la sûreté de l’État, mais ils ne nous ont pas dit de quelle nature était le danger qu’ils redoutaient, si bien que nous sommes réduits à le deviner, ce qui n’est pas facile. M. Bouché-Leclercq insiste, non sans raison, sur le prosélytisme chrétien, qui parait avoir alarmé l’autorité romaine. Comparant les décisions prises par les empereurs envers les juifs et envers les chrétiens, il observe que le judaïsme est épargné tant qu’il reste cantonné chez le peuple hébreu, mais que, dès qu’il en sort, dès qu’il étend sa propagande au delà des limites ethniques, dès qu’il s’efforce d’entamer la société païenne, il devient tout de suite suspect : or, aux yeux des hommes d’Etat de Rome, le christianisme n’est qu’une variété de ce judaïsme d’exportation, si l’on peut ainsi parler, et c’est à ce titre qu’il est proscrit. Il y a là, en effet, une différence intéressante à constater. Mais le prosélytisme, en soi-même, n’est pas un mal : il ne le devient que s’il est mis au service de principes mauvais. En fait, le gouvernement impérial n’a pas lutté contre tous ceux qui essayaient de répandre leurs doctrines nouvelles et de réformer la société : les écoles de philosophie, les sectes orientales, — celle d’Isis ou plus tard celle de Mithra, — ont opéré de véritables conversions, des transformations de mœurs analogues à celles qu’a accomplies le christianisme, et l’on ne voit pas que l’Etat s’en soit beaucoup tourmenté. Si donc il a sévi contre les chrétiens, ce n’est pas simplement parce qu’ils faisaient de la propagande, mais parce qu’ils faisaient une certaine propagande.

On peut raisonner de même au sujet d’une explication souvent proposée : les chrétiens auraient été poursuivis comme tenant des réunions illicites et secrètes. Cela a pu constituer une présomption contre eux, mais rien de plus. Si tracassière qu’on la suppose, l’autorité romaine savait distinguer entre une assemblée illégale et une conspiration, entre un délit et un crime. Elle n’avait qu’à dissiper les attroupemens défendus,