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une haine religieuse. Lactance nous dit que sa mère, paysanne illyrienne très dévote aux dieux de sa peuplade barbare, excitait sa colère contre le christianisme : et il est bien vrai que c’est un polémiste chrétien qui nous l’apprend, mais ce n’est pas un argument suffisant pour rejeter un détail qui n’est nullement en désaccord avec ce que nous savons des croyances et des mœurs au IVe siècle. Voilà donc au moins un cas, — et il est fort douteux que ce soit le seul, — où les chrétiens ont été persécutés pour leur croyance, et par des gens qu’une croyance également forte animait contre eux.

Il est bien certain pourtant que ni le caprice individuel, ni la condescendance pour l’opinion populaire, ni le zèle païen ne sauraient expliquer toutes les persécutions. Il y en a quelques-unes qui ont été ordonnées par des princes trop intelligens pour qu’on puisse se contenter de pareilles raisons : ajoutons aussi qu’elles ont été trop bien organisées, trop méthodiques, pour ne pas déceler une intention réfléchie. Lorsque Maximin le Thrace, vers 235, négligeant la masse des fidèles, frappe à la tête des Églises, emprisonne, exile et torture les évêques afin de les acculer à l’apostasie, — lorsque Decius impose à tous les sujets de l’Empire l’obligation de sacrifier sur les autels officiels, en vue de contrôler leur loyalisme et de pouvoir poursuivre les réfractaires, — lorsque Dioclétien (nous parlons ici de Dioclétien seul, agissant de sa propre initiative, avant d’avoir subi les suggestions haineuses de Galerius) imagine de retirer aux esclaves chrétiens la faculté d’être affranchis et aux hommes libres les droits civiques, — il est clair que ces plans de campagne, si ingénieusement combinés, n’ont pas été conçus dans un moment de fantaisie arbitraire ou de passion emportée. C’est sur les persécutions de cette espèce que les historiens modernes s’arrêtent le plus ; elles sont en effet les plus déconcertantes. Qu’un fou comme Néron, qu’une brute comme Galerius, ait édicté contre de pauvres gens inoffensifs de cruels supplices, cela n’a rien d’étonnant, mais, cette fois, nous sommes en présence d’empereurs tout différens. Decius avait de remarquables qualités d’administrateur, et Corneille a eu tout à fait raison de dire qu’il ne fut « aveugle » qu’en ce qui concerne le christianisme. Et Dioclétien, énergique et adroit tout ensemble, est un de ceux qui ont le plus efficacement travaillé à sauver de l’anarchie l’Empire à moitié détruit. Or ils ont persécuté le