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anonymes, ni punir ceux d’entre eux qui renient leur foi, Trajan montre assez — dirons-nous : qu’il ne les croit pas coupables ? — non, mais plutôt qu’il ne les croit pas dangereux. Mais, en même temps, en maintenant la nécessité de sévir contre ceux qui s’obstinent dans leur « superstition, » l’empereur comme son légat donnent satisfaction aux rancunes du vulgaire. Et si à cela l’on ajoute cette déclaration significative qu’ « on ne peut rien statuer sur la question d’une manière générale ni pour servir de règle fixe, » cette lettre apparaît comme un des plus beaux exemples de compromis administratif entre le libéralisme d’en haut et l’intolérance d’en bas.

N’arrive-t-il jamais que l’intolérance se rencontre en haut aussi, que les souverains, non contens de laisser agir les passions païennes de la foule, les partagent pour leur propre compte ? N’y a-t-il pas, en un mot, des persécuteurs par fanatisme ? Peut-être n’en trouve-t-on pas pendant les deux premiers siècles de l’Empire, — encore n’est-ce pas certain, — mais dans l’extrême décadence, nous avons peine à croire qu’il n’y en ait pas eu. C’est en effet une période de vie religieuse intense, débordante : toutes les sectes pullulent, avec les superstitions les plus grossières, les croyances les plus bizarres, les plus violentes ardeurs. Et, d’autre part, les empereurs, au lieu d’être issus de l’aristocratie romaine, comme les Césars, ou de la bonne bourgeoisie provinciale, comme les Antonins, se recrutent dans toutes les parties du monde gréco-latin : il n’y a pas de si basse classe, de race si barbare, de contrée si exotique, qui n’en fournisse à son tour. Or, parmi ces aventuriers couronnés, mais restés » peuple, » il serait bien étrange que pas un n’eut conservé les préjugés populaires contre le christianisme, et n’eût poursuivi en lui une religion rivale de la sienne. Pour nous en tenir à un seul exemple, si la grande persécution du commencement du IVe siècle a été aussi furieuse, la faute semble bien en être à Galerius plus qu’à Dioclétien : d’après le récit de Lactance, — que nous n’avons nul motif de révoquer en doute, et que Chateaubriand a fidèlement suivi dans ses Martyrs, — c’est Galerius qui a généralisé les poursuites, d’abord restreintes aux seuls fonctionnaires impériaux, et qui les a rendues aussi plus sanglantes. Or, si Dioclétien a eu pour sévir des raisons politiques, Galerius, soldat brutal, sans culture intellectuelle, n’a été mû, selon toute apparence, que par