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Domitien, Decius, Dioclétien, ont été des bourreaux malgré eux. Si le christianisme seul a été persécuté, c’est qu’il a provoqué les persécutions.

Il y aurait beaucoup à dire là-dessus. On pourrait d’abord se demander s’il est bien vrai que les persécutions n’aient été dirigées que contre le christianisme. La fermeture des chapelles consacrées aux cultes égyptiens sous Auguste, la déportation des sectateurs d’Isis sous Tibère, la proscription des druides sous Claude, prouvent au moins que la liberté religieuse n’était pas absolue au Ier siècle, sans compter que, dans les mesures violentes dont les Juifs ont maintes fois été l’objet, il est bien difficile de faire le départ entre les motifs religieux et les motifs politiques. — Il faudrait aussi remarquer peut-être que la situation n’est pas la même pour le christianisme et pour les autres cultes : ceux-ci, à vrai dire, n’obtiennent pas la tolérance à l’époque impériale, ils l’ont déjà obtenue, et ils la gardent, ce qui est assez différent. Si le culte de Sérapis ou celui de Bellone avaient fait leur apparition à Rome vers l’an 100 ou 150 après notre ère, qui sait s’ils eussent été aussi complaisamment accueillis par le gouvernement ? Mais ils avaient pour eux une longue prescription. La religion chrétienne est venue la dernière, et à un moment où, pour les raisons que nous avons essayé de démêler, on était plus défiant que jadis envers toutes les nouveautés. — Une autre différence, bien souvent signalée, est que presque toutes les religions étrangères, asiatiques, égyptiennes ou africaines, se sont aisément prêtées à une fusion avec le paganisme gréco-romain, tandis que le christianisme, seul avec le judaïsme, s’y est obstinément refusé : cela ne pouvait que le faire paraître plus inquiétant. Pour toutes ces raisons, l’antinomie entre la tolérance ordinaire de l’Etat romain et son hostilité contre le christianisme est peut-être moins radicale qu’on ne l’a dit.

Cela ne signifie pas qu’elle n’existe pas : les persécutions, sans être aussi extraordinaires qu’elles semblent l’être au premier abord, restent un fait assez étonnant, et nous estimons, quant à nous, que le grand tort de beaucoup d’historiens, d’un côté comme de l’autre, a été d’en proposer une explication trop simple et trop une. L’un ne veut voir que les torts des persécuteurs, l’autre que ceux des persécutés ; l’un n’admet que des motifs politiques, l’autre que des motifs religieux. En réalité,