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gouvernement ; on aurait craint une conjuration des populations soumises sous le couvert de la religion, et le déchaînement des supplices aurait sa cause dans un accès de nationalisme apeuré.

Nous-même, frappé du grand nombre de femmes que l’on rencontre dans les Bacchanales, et du voisinage chronologique entre cette affaire et le mouvement féministe qui avait eu lieu une dizaine d’années auparavant, nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas chercher de ce côté l’origine du sénatus-consulte de 186. On peut hésiter entre toutes ces explications, mais elles ont toutes ceci de commun qu’elles ne font intervenir que des mobiles purement « laïques, » et en effet, il est impossible de voir dans la décision sénatoriale l’acte d’une religion qui se défend contre une autre. On dirait même que les rédacteurs du décret ont pris à cœur de bien préciser leur intention sur ce point : ils commencent par interdire la célébration des Bacchanales, mais ils ajoutent tout de suite que, si quelqu’un se croit obligé de les célébrer, il peut en demander l’autorisation au préteur urbain ; ils permettent, sous la même condition, les réunions partielles des adorateurs de Bacchus, et à la fin, en édictant la suppression des sanctuaires, ils font une exception en faveur des objets sacrés qui peuvent s’y trouver. Ce n’est pas, croyons-nous, leur prêter des idées trop modernes que de voir, dans ces distinctions et restrictions si minutieuses, un désir de concilier deux choses également respectables, les droits de la puissance publique en ce qui concerne l’ordre matériel et ceux de la conscience individuelle en ce qui touche aux croyances religieuses.

Ainsi, même dans l’occasion où la République romaine s’est montrée le plus hostile à un culte étranger, il s’en faut de beaucoup qu’elle ait songé à enfreindre la liberté de conscience. A plus forte raison cette liberté a-t-elle été respectée dans le cours ordinaire des faits, et lorsqu’il s’agissait de cultes qui ne semblaient pas dangereux pour la paix sociale. Sans être inscrite dans aucune charte, elle existait dans les mœurs, ce qui vaut mieux sans doute ; elle était assurée par une pratique à peu près constante, dont on ne se départait que très rarement, et pour des motifs tout à fait extérieurs aux choses religieuses proprement dites. Si bien qu’à prendre l’histoire de Rome jusqu’au siècle d’Auguste, on est parfaitement fondé à dire, avec