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s’agisse de défendre des cérémonies comme en 212 ou en 186, ou de raser des chapelles comme en 58, 53, 50 et 48, — où eurent lieu quatre destructions des temples d’Isis et de Sérapis, — le gouvernement romain n’agit point par une loi générale, mais par une décision d’espèce : il décrète que tel sanctuaire sera démoli, que telle fête ne pourra être célébrée, mais la question de principe n’est jamais tranchée dans toute son étendue. Les mesures prises sont plutôt du ressort de la police que de la législation. En outre, il faut bien se souvenir qu’elles sont dictées, non par un motif religieux, mais par une préoccupation politique ou sociale. Les magistrats qui prohibent ou limitent le culte des divinités étrangères ne sont pas des dévots qui réclament pour leurs propres dieux le monopole de l’adoration ; ce sont des hommes d’Etat qui croient, — à tort ou à raison, peu importe, — que les réunions trop nombreuses ou trop secrètes, les cérémonies trop enthousiastes, peuvent troubler les esprits, et par suite nuire à la tranquillité de la cité. Ce qu’ils protègent contre Cybèle ou Isis, ce n’est pas Jupiter et Mars, c’est l’ordre public.

Nulle part cette différence essentielle n’éclate mieux que dans le célèbre sénatus-consulte sur les Bacchanales, rendu en 186 avant notre ère. On a beaucoup discuté sur les raisons qui ont pu pousser le Sénat romain à réprimer avec tant de rigueur les manifestations des adorateurs de Bacchus. Tite-Live, dans le discours qu’il prête aux consuls sous lesquels le sénatus-consulte fut voté, — discours où il s’inspire sans nul doute de l’historiographie traditionnelle, — met en avant des argumens de saine prudence gouvernementale : le nouveau culte n’est qu’un prétexte à tumultes, à violences, à débauches infâmes, à meurtres, à empoisonnemens ; contre ces crimes de droit commun, l’autorité ne peut rester désarmée, malgré tout son désir de ne pas porter atteinte aux croyances religieuses. Les historiens modernes sont moins favorables aux auteurs de ce décret. Emu de l’atrocité des châtimens, — il y eut jusqu’à 1 000 prévenus, dont une grande partie furent mis à mort et le reste emprisonné, — M. Salomon Reinach déclare que « le Sénat romain fit une politique d’assassins, » mais il n’attribue pas cet « assassinat » à un zèle fanatique : suivant lui, c’est la présence de nombreux « alliés » dans la secte, d’Italiens du Sud, mal soumis encore à la domination romaine, qui aurait inquiété le