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malheureusement trop rares, que nous possédons sur ce sujet.

Trop rares, disons-nous, et il faut ajouter : parfois difficiles à concilier. Voici par exemple deux passages, l’un de Cicéron, l’autre de Tite-Live, qui tous deux s’accordent en ce qu’ils attribuent à l’autorité publique un droit de surveillance, et de contrôle, mais qui sont loin de donner à ce droit la même étendue.

« Que personne, dit Cicéron, n’ait de dieux à part ; que les dieux nouveaux ou étrangers, s’ils n’ont été officiellement reconnus, ne reçoivent aucun culte privé. » Chez Tite-Live, l’interdiction porte seulement sur le culte célébré dans des emplacemens publics ou sacrés, ce qui semble comporter toute indépendance pour le culte domestique. M. Boissier, qui signale cette opposition entre ce deux écrivains bien informés, » se tire d’embarras en supposant que « Cicéron nous dit ce qu’on avait légalement le droit de faire et Tite-Live ce qui se faisait ordinairement. » L’explication est ingénieuse, mais, à vrai dire, nous nous demandons s’il est bien légitime de traiter la phrase de Cicéron comme un texte historique. Elle se trouve dans un ouvrage de philosophie, le De legibus ; c’est un des articles de ce code supérieur que Cicéron, comme jadis Platon, élabore pour sa cité idéale. Or il est très vrai que, dans cette fiction, il se rapproche volontiers des lois réelles de sa patrie, mais il ne s’y astreint pas toujours, il les rectifie ou les complète lorsqu’il le croit nécessaire. Et ici il a, semble-t-il, deux raisons de les modifier. D’abord, imitateur et disciple de Platon, il doit être porté comme lui à admettre une « religion d’Etat, » exclusive, sinon même intolérante. De plus, comme il écrit à un moment où l’on peut mesurer les effets désastreux de l’excessive liberté, pour réagir contre la décomposition anarchique qu’il observe autour de lui, il tend à restaurer l’idée d’autorité dans toute sa force ; il arme le gouvernement, dans les matières religieuses comme dans les autres, d’un pouvoir impérieux qui fait défaut à la Rome de son temps. Pour tous ces motifs, nous inclinerions à voir dans cette phrase, tant de fois citée et discutée, un témoignage sur ce que pense Cicéron, et non sur ce qui se pratique dans son pays, l’expression d’un vœu, et non la constatation d’un fait.

Quant au texte de Tite-Live, la distinction qu’il établit, — distinction implicite, mais certaine, — entre les lieux publics