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des croyances consacrées se mettrait par ce seul fait hors la loi, hors la société. Il ne peut donc y avoir de lutte entre la puissance de l’Etat et celle de la religion, car toutes deux ne sont que deux faces d’une seule et même autorité, la tradition, le mos majorum.

Cela est vrai, non seulement de Rome, mais de toutes les villes antiques. Seulement, Rome a eu de très bonne heure une destinée historique qui devait modifier et compliquer singulièrement la situation. Les autres cités, plus ou moins homogènes, se transforment sur place et en elles-mêmes : c’est le changement de leurs mœurs, de leurs idées, qui effrite peu à peu leur vieille armature théocratique. A Rome, en plus de cette évolution intérieure, il y a celle qui résulte de toutes les additions et annexions successives par lesquelles la bourgade Capitoline s’agrandit jusqu’à embrasser le monde civilisé. Cette juxtaposition progressive s’annonce dès l’aurore de l’histoire romaine, voire avant la fondation de la ville, ne fût-ce que par la légende qui donne comme lointains ancêtres à Romulus, d’un côté des Latins, et de l’autre des Troyens venus d’Asie. Rome n’est pas une, et le sera de moins en moins : dans une seule patrie légale vont se trouver en contact des races chaque jour plus différentes, et des cultes plus dissemblables aussi. Dès lors, il y aura, pour l’Etat romain, un problème religieux ; il commencera à poindre au moment où la conquête latine s’étendra sur la Grèce et l’Orient, et où, en retour, les croyances grecques et orientales afflueront en Italie. Et comme ce moment est aussi celui où les penseurs et les poètes de Rome, tout imprégnés de philosophie hellénique, soumettent à une discussion hostile les vieilles fables et les vieux rites, c’est à cette date, — au lendemain des guerres puniques, au commencement du IIe siècle avant notre ère, — qu’il faut envisager une première fois la politique religieuse de l’Etat romain. Cette religion nationale, dont il est né, avec laquelle il s’est toujours confondu, sur laquelle il s’appuie encore, à laquelle personne jusqu’ici ne s’était sérieusement dérobé, voici qu’elle est menacée de toutes parts, attaquée en haut par les argumens et les sarcasmes des esprits forts, supplantée en bas par la concurrence des cultes étrangers : que va-t-il faire pour la défendre ?

Il ne semble pas s’inquiéter beaucoup du danger que peut