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théologique, mais par prudence politique. Seulement, de nos jours, ce motif ne saurait plus être invoqué, l’Église ayant abandonné depuis longtemps tout ce qui, dans ses tendances premières, pouvait inquiéter l’autorité civile. Ce n’est plus elle qui prêche le dédain systématique des lois, de l’armée, de la patrie. Pour un homme d’Etat moderne imbu des doctrines de Marc-Aurèle, de Septime-Sévère ou de Dioclétien, l’ennemi à combattre (et M. Bouché-Leclercq le laisse suffisamment entendre) ce ne sont plus les chrétiens, mais les anarchistes, antimilitaristes ou antipatriotes, l’opposition d’extrême gauche et non celle de droite. La conception de M. Bouché-Leclercq pourrait se résumer en deux mots : le christianisme primitif était anti-social, et l’on a bien fait de le combattre ; le christianisme du XXe siècle ne l’est plus, et il faut le laisser tranquille.

Cette brève analyse suffit, nous l’espérons, pour faire pressentir l’intérêt du livre de M. Bouché-Leclercq et l’importance des problèmes qu’il pose. Ces premiers siècles de notre ère ont vu une transformation si complète de la civilisation humaine, que les esprits, même les plus indifférens aux choses antiques, ne peuvent en détourner complètement les yeux. Et, d’autre part, la difficulté de concilier ensemble la vie religieuse et la vie sociale se dresse devant nous, à toute heure et en tout lieu, si aiguë, si pressante, qu’instinctivement nos regards se portent en arrière pour chercher de quelle manière elle a été résolue la première fois qu’elle s’est imposée à l’attention des hommes d’État.

C’est ce qui nous excusera peut-être de reprendre l’étude de la politique religieuse des Romains après son plus récent historien, moins pour opposer à sa thèse une autre thèse, que pour en indiquer les lacunes et les limites. Car le danger, ici plus qu’ailleurs, serait de vouloir trop simplifier, d’enserrer dans une formule unique une réalité complexe et mouvante. Sous le nom de « liberté religieuse, » notre langage moderne enveloppe des choses assez différentes : le droit de croire et de ne pas croire, le droit de pratiquer et de ne pas pratiquer, la liberté de discussion, d’enseignement, de réunion, d’association, de culte, voilà autant de parties dont se compose la « liberté religieuse » totale, et il est fort possible qu’à telle ou telle époque, une de ces parties existe, ou plusieurs, et non les autres. De plus, quand il s’agit d’un organisme aussi vaste, aussi hétérogène