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quoique au fond ils aient leur racine dans un même amour de la liberté et de la tolérance. M. Bouché-Leclercq, — et ce n’est pas nous qui l’en blâmerons, — déteste tous les fanatiques, — aussi bien ceux du « cléricalisme » que ceux de l’ « anticléricalisme, » et il est aisé de surprendre dans son argumentation la trace de cette double haine. Comme les empereurs païens n’ont été traités de « persécuteurs » que par des écrivains chrétiens, — depuis Tertullien et Lactance jusqu’à M. Paul Allard, — M. Bouché-Leclercq se défie de cette flétrissure tendancieuse : par réaction contre l’opinion traditionnelle, il s’attache à découvrir, chez un Septime-Sévère ou un Valérien, chez un Decius ou un Dioclétien, des motifs de « persécution » sérieux et raisonnables. Mais, d’autre part, il lui déplairait fort que des tyranneaux modernes pussent s’autoriser de ses explications historiques pour légitimer, contre le christianisme actuel, des mesures de rigueur qui lui paraissent aussi révoltantes qu’inopportunes : c’est pourquoi il met en pleine lumière le trait, essentiel selon lui, qui caractérisait l’Église des premiers siècles et qui n’apparaît plus dans celle d’aujourd’hui. Ce trait, c’est l’esprit « anarchique » au sens propre du mot.

Et voici, dès lors, à quelles conclusions aboutit M. Bouché-Leclercq sous l’influence de ses diverses préoccupations. Le gouvernement romain, de sa nature, n’était pas persécuteur ; il a toléré toutes les religions qui coexistaient dans son vaste empire, pourvu qu’elles vécussent en bonne intelligence toutes ensemble ; il a même toléré la religion juive, quoique celle-ci fût bien plus exclusive, bien plus intransigeante que les autres, tant qu’elle est restée enfermée dans les limites de la nationalité hébraïque. Mais, ces limites, le christianisme les a franchies. Par lui, les idées juives ont été portées au sein de la société païenne, et cela sous une forme agressive qui devait les faire juger inconciliables avec les principes d’un Etat régulier. Méprisant les lois humaines, se dérobant au service militaire, dépréciant la vie familiale et la vie publique, refusant le culte dû à la divinité des empereurs (lequel n’était qu’une expression conventionnelle de l’obéissance civique), les chrétiens ne pouvaient pas ne pas être pris pour des rebelles dangereux. C’est pour cela que les souverains les plus intelligens les ont poursuivis, — ou plutôt se sont défendus contre eux, — non par fanatisme