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la veille du triomphe s’y rallient le lendemain, pour des motifs qui n’ont rien d’héroïque, et ils augmentent le nombre, plus que la qualité, de ses sectateurs. Ceux mêmes qui sont sincères, n’étant plus aiguillonnés par l’âpre nécessité de la lutte, se relâchent, se laissent glisser à un mol épicurisme de satisfaits. La société chrétienne du IVe siècle n’a pas échappé à ce danger, non plus qu’à celui des querelles intestines, et il s’en faut de beaucoup que son niveau moral ait suivi la même marche ascendante que la situation politique de l’Église. On pourrait presque dire qu’il y a eu alors plus de chrétiens qu’aux siècles précédens, mais moins de christianisme. Ce n’est pas là un sophisme d’historien dilettante, disposé à trouver que la religion chrétienne était plus belle sous les princes païens, — un peu comme on répète que la République était belle sous l’Empire… Non, ce que nous disons, les théologiens d’alors l’ont eux-mêmes aperçu. Saint Hilaire, engagé dans un conflit avec l’empereur Constance, regrette de n’avoir pas affaire à un Decius ou à un Néron : avec ces « francs ennemis, » absoluti hostes, on n’avait pas de doute, et cela valait mieux que de trouver devant soi un adversaire hypocrite, « qui ne caresse que pour mieux frapper, ne confesse le Christ que pour mieux le nier. » Et saint Jérôme, un peu plus tard, est si ému de voir combien les vertus chrétiennes ont perdu de leur force depuis la fin des rigueurs légales, qu’il entreprend d’y suppléer par la pénitence et le monachisme, afin de restaurer, de tonifier en quelque sorte la mentalité religieuse trop anémiée : il compare volontiers les saints de la primitive Église et les religieuses de son temps, dont la vie est « un long martyre, » « un martyre de chaque jour ; » il invente l’ascétisme pour remplacer la persécution, la bonne, heureuse et salutaire persécution.

On le voit, les écrivains ecclésiastiques n’ont pas salué sans réserve la fameuse « paix de l’Église. » Cela ne veut pas dire, bien entendu, qu’ils aient refusé leur reconnaissant hommage aux intentions généreuses du prince qui en était l’auteur, ni qu’ils ne se soient pas réjouis de voir mettre fin à ces supplices, vaillamment supportés par les confesseurs de la foi, mais cruellement ressentis par la communauté chrétienne tout entière. Cela ne veut pas dire surtout que nous, d’un point de vue plus moderne, nous ne devions pas rendre justice aux dispositions si larges et si nobles d’un acte dans lequel, pour la