Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qualifié légalement trahison ; on ne l’a poursuivi que pour n’avoir pas rempli son devoir d’honneur avant de capituler. Son accusateur, le général Pourcet, l’a reconnu dans son réquisitoire : « Il n’a jamais été question, pas plus dans le rapport que dans le réquisitoire, de trahison ni de conspiration. » La demande en grâce de ses juges s’explique par ce qu’il y avait de monstrueux dans une condamnation capitale motivée par les griefs invoqués, fussent-ils vrais, aussi disproportionnés avec la peine. Elle ne se comprendrait pas appliquée à un traître, car contre un maréchal de France reconnu coupable de trahison, aucun châtiment n’aurait été assez impitoyable. Accoler l’épithète de traître au nom de Bazaine est donc une contre-vérité historique et une calomnie.


XIII

Bazaine n’a jamais trahi. C’était un brave homme modeste jusqu’à l’humilité, sans aile ouverte à aucun idéal, d’humeur pédestre, n’ayant de fierté que celle professionnelle du troupier, si dévoué à ses devoirs de soldat que sa condamnation à mort a été la seule punition qu’il ait encourue dans sa carrière, uniquement préoccupé du soin de veiller à la sécurité de son armée et non de se hisser par elle à un rôle exceptionnel. D’un esprit fin, mais sans netteté et sans vigueur, d’un caractère facile, mais manquant de ténacité, ne sachant jamais dire résolument oui ou non, et, sans être déloyal, se donnant l’apparence de l’être par le vague dans lequel il se complaisait, rapidement accessible, sous un aspect imperturbable, aux pressions des circonstances et y cédant sans avoir souci de ce qu’il avait résolu de contraire auparavant, « On ne fait rien de grand au monde, a dit Thiers, sans les passions, sans l’ardeur et l’audace qu’elles communiquent à la pensée et au courage. » Il n’avait pas « cette chaleur entraînante qui, à la tribune, à la guerre, dans toutes les situations, enlève les hommes et les conduit malgré eux à de vastes fins. »

Le fond de sa nature était la prudence qu’accroissait la crainte des responsabilités ; porté par là aux résolutions défensives, il n’a parfois paru pousser à l’offensive que comme acheminement à une défensive plus solide. Ces dispositions avaient été singulièrement encouragées les derniers temps, car l’Empereur