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impedimenta, afin de rendre la route plus libre et de les soustraire à l’ennemi, c’est qu’il médite d’empêcher la manœuvre qu’en apparence il ordonne ; va-t-il établir son quartier général à un kilomètre de Gravelotte où est l’Empereur parce qu’il n’a pu trouver ailleurs à loger ses chevaux, c’est pour échapper à une surveillance importune ; télégraphie-t-il à Mac Mahon qui lui demande des ordres à Bar-sur-Aube : « Avisez vous-même, » c’est qu’il ne veut pas découvrir son incapacité à un autre en exposant ses projets ou en se montrant hors d’état d’en concevoir aucun. Il est généralissime, c’est-à-dire dispensé, dès qu’il a indiqué son plan général, de surveiller l’exécution des détails importans ou menus ; cependant, dès qu’un chef d’armée commet une bévue ou une omission, qu’un colonel place mal son régiment, c’est Bazaine qu’on prend à partie. Volontiers on le rendrait responsable des peccadilles du moindre caporal. On n’admet pas que ses erreurs soient involontaires ; on les attribue à une duplicité scélérate ; on en fait une espèce de Méphistophélès militaire tout en machinations, en calculs, assoiffé de se créer un grand rôle sur les ruines de son pays, et vraiment très original dans la manière de préparer le triomphe de son ambition. Jusqu’à lui on a pensé que la victoire est le moyen de tout obtenir d’un peuple : lui aurait imaginé que ce serait la défaite. Il redoute la victoire quand elle s’offre à lui et la fuit dans une inertie calculée ; c’est l’accumulation des défaites qui sera le piédestal sur lequel s’élèvera son apothéose. Tous ses actes n’ont été que la préparation sournoise de la trahison prochaine.

Ceci n’est pas sérieux.

Bazaine ne pouvait préparer le 17 et le 18 août une trahison qu’il n’a jamais commise. Qu’est-ce qu’un traître ? Politiquement, c’est celui qui, sous une forme quelconque, sert les intérêts des ennemis de sa patrie, en vue d’un profit personnel plus ou moins bas. Bazaine ne peut être range dans cette catégorie, car ces gens-là ne trahissent pas gratis, et lui a fini presque dans la mendicité. Quand le général d’Aurelle de Paladines, passant à Madrid, le vit dans le taudis où il s’était réfugié, il éclata en sanglots.

Juridiquement est traître celui qui a commis un acte auquel la loi pénale attribue cette qualification. Or, Bazaine n’entre pas non plus dans cette catégorie : on ne lui a imputé aucun acte