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par ses instructions du matin et par la liberté accordée à Bourbaki ; il laisse Canrobert se débrouiller comme il pourra.

Dans une bataille livrée sur un front étendu, il y a du danger partout. Le talent du chef d’armée est de discerner celui auquel il est le plus urgent de parer. Bazaine n’a pas eu ce talent le 18 août. Il n’a pas saisi que la défense des lignes d’Amanvillers était à Saint-Privat, et que, Saint-Privat perdu, notre front, du Point-du-Jour à Amanvillers, devenait intenable.


XII

À Dresde en 1813, le jeune duc de Plaisance vint annoncer à Napoléon un des plus grands désastres de la campagne, la défaite de Ney à Dennewitz (6 septembre). Napoléon, raconte Gouvion Saint-Cyr, avec le sang-froid le plus imperturbable, l’interrogea dans les plus petits détails sur les mouvemens opérés par les différens corps ; il expliqua, d’une manière qui paraît aussi précise que claire et juste, les causes des revers, mais sans le plus petit mouvement d’humeur, sans une expression malsonnante ou équivoque contre Ney ni aucun des généraux ses collaborateurs ; il rejeta tout sur les difficultés de l’art qui, disait-il, étaient loin d’être connues. La leçon ne fut point perdue, car Gouvion Saint-Cyr a écrit pour son compte : « Je ne crois pas qu’il ait jamais existé un général assez fort au physique et au moral pour bien conduire par exemple une armée de 200 000 hommes ; aussi, je pense que ce n’est pas dans un esprit de critique sévère, mais avec une indulgence qu’on ne doit pas craindre de pousser trop loin, qu’il faut juger les chefs de nos grandes armées.

On n’a pas fait profiter Bazaine de cette indulgence. La reculade du 17 août avait porté atteinte à son crédit dans l’armée ; son effacement du 18 le détruisit tout à fait. Passant d’un extrême à l’autre, on en vint à refuser la moindre qualité à celui à qui on avait accordé les plus éminentes. On le mit en dehors du droit commun, de l’équité. Des actes qui, de la part de tout autre, eussent paru naturels, semblèrent coupables ; on les travestit à plaisir. S’avance-t-il seul sur une situation exposée, laissant derrière lui son état-major afin de ne pas l’entraîner dans le danger, c’est qu’il ne veut pas que ses officiers voient sur son front la perfidie de ses pensées ; fait-il reculer les