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l’ennemi et le retiendrait devant des positions imprenables, puis de ramasser tout ce qu’on pourrait avoir de forces disponibles, réserve, Garde impériale au complet, cavalerie, y joindre quelques fractions des 2e et 3e corps, dès que leur solidité aurait été démontrée. Avec ces forces compactes, bien tenues en mains, aller vers Canrobert, briser l’offensive allemande, passer soi-même de la défensive à l’offensive, tourner ceux qui avaient compté nous tourner. Alors seulement faire sortir la gauche et le centre de leur immobilité et les pousser sur le front de l’armée allemande, que Canrobert presserait sur le flanc.

N’eût-on pas la force ou le temps de faire succéder l’offensive à une défensive triomphante, nous serions restés maîtres de nos positions après avoir fait subir des pertes considérables à l’assaillant, prêts à lui en faire éprouver de nouvelles, s’il s’enhardissait à recommencer le lendemain, jusqu’à ce que, l’ayant successivement usé, nous l’eussions contraint à se retirer.

Bazaine fait exactement le contraire. Pendant toute la journée, les VIIe , VIIIe, IXe, et à la fin le IIe corps allemands, avaient fait des efforts désespérés, non seulement contre le Point-du-Jour, mais contre toute la position jusqu’à Amanvillers ; ils avaient réussi à s’emparer de la ferme Champenois et de la ferme Saint-Hubert ; ils n’étaient point parvenus à prendre pied sur la position et ils avaient même dû reculer en panique devant les retours offensifs de Frossard et de Le Bœuf. Il y avait eu là des menaces, non un péril. A la droite, au contraire, le péril avait existé dès le début de la journée. La configuration des lieux dénués de toute défense naturelle facilitait le succès du mouvement tournant, objectif des Allemands. Et cependant Bazaine est absorbé par les menaces et ne voit pas le péril. Il accueille sans réflexion une foule de renseignemens saugrenus, contradictoires, se réfutant eux-mêmes, comme il en pleuvait depuis le commencement de la campagne. Il accumule les précautions à sa gauche où elles étaient inutiles et les néglige à sa droite où elles étaient indispensables. Il tient à sa gauche les réserves, désarticule à son profit la Garde impériale ; il ne refuse pas à la droite les munitions, mais il ne s’inquiète pas d’elle et il juge la crise terrible où elle se débat une simple émotion à laquelle il sera facile de remédier. Il se croit quitte