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le terrain lui-même avait été confirmée à la fois, de très bonne heure, par Le Bœuf et Frossard. Bazaine devait donc dès le matin sortir de son immobilité et comprendre que ce mouvement tournant était le vrai péril qui le menaçait, et qu’il devait adopter immédiatement, sans perdre une minute, les moyens de le prévenir, de l’arrêter ou de l’écraser. Un mouvement tournant peut être abordé ou par le centre ou par les flancs, en principe il n’y a pas de raison systématique de préférer un mouvement par le centre à un mouvement par une aile ; c’est une affaire de circonstance. Gouvion Saint-Cyr ayant fait observer à Napoléon que « dans sa manière ordinaire, il aimait mieux les attaques sur le centre que celles sur les ailes, tandis que celles-ci paraissaient presque toujours avoir été préférées par Frédéric, et que les premières, en présentant d’abord de plus grands obstacles à surmonter, offraient ensuite, quand elles réussissaient, de bien plus grands résultats, puisqu’il était presque impossible à un ennemi battu ou enfoncé par son centre d’éviter une déroute complète et de faire une retraite passable. Napoléon répondit qu’il n’accordait aucune préférence à l’attaque du centre sur celle des ailes et qu’il avait pour principe d’aborder l’ennemi avec le plus de moyens possible[1]. » En la circonstance, vu notre infériorité d’effectifs, l’attaque par le centre était infiniment dangereuse, car, si elle avait réussi un instant, les deux parties momentanément séparées de la ligne enveloppante se seraient refermées sur nous et nous auraient étouffés entre elles. Ce n’était pas le cas non plus d’opérer par notre aile gauche. De ce côté notre ligne, « protégée par le ravin de la Mance, les hauteurs du Point-du-Jour, les forts de Saint-Quentin, les remparts de Metz, constituait une position formidable dont nous ne pouvions être délogés en dépit de la bravoure des troupes allemandes, même au prix des plus grands sacrifices[2]. »

Le plan rationnel de Bazaine devait être de réparer vivement l’erreur qu’il avait commise en plaçant ses réserves à Plappeville, et d’adapter à notre usage la tactique que les Prussiens avaient adoptée, de confirmer l’ordre donné à Frossard, à Le Bœuf, à Ladmirault, de demeurer inébranlablement attachés à leurs positions dans une vigoureuse défensive, de n’engager, du Point-du-Jour jusqu’à Amanvillers, qu’un combat traînant, qui amuserait

  1. D’après Gouvion Saint-Cyr.
  2. Moltke, Guerre de 1870, p. 76.