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iniquité réussit. Qu’est devenu le Jéhovah qui détourne sa face de l’inique ? Notre pauvre planète lui paraît-elle indigne d’un de ses regards, ou est-il lui-même aux prises avec des Satans déchaînés, occupés à arracher de son front de lumière les rayons de la toute-puissance et, de sa main de fer, les foudres du châtiment ?


XI

« Datez vos justices ! » a dit Michelet aux historiens. C’est un des préceptes essentiels de la méthode historique. Un jugement en bloc sur un personnage est aussi faux qu’un tel jugement sur une époque. De la vie d’un homme finit par se dégager un certain nombres de traits caractéristiques qu’on retrouve dans tous ses actes espacés et qui constituent son originalité. Mais ces actes successifs eux-mêmes ne se ressemblent pas et, parfois, une platitude ou une médiocrité succède à un acte méritoire et on ne doit point, parce qu’un jour on a approuvé, se croire obligé à ne pas blâmer un autre jour.

La justice ne permet pas d’apprécier la conduite des généraux de corps d’armée et du généralissime pendant la journée du 18 sur la même mesure que leur conduite dans les journées antérieures. Le 18 août, Frossard et Le Bœuf méritent surtout d’être loués. Ils se révélèrent hommes de guerre de premier ordre. Frossard ingénieur hors ligne. Le Bœuf artilleur sans égal, avaient manié les trois armes réunies aussi bien que des généraux d’infanterie émérites. Ils surent faire alterner la fougue de l’élan avec la solidité du pied ferme. Frossard avait magnifiquement réparé son erreur de Forbach et Le Bœuf son abstention obligée de Rezonville. Ladmirault se retrouva le chef accompli qui avait conquis l’estime de l’armée : dans une situation des plus exposées il avait été, suivant le moment, prudent ou rapide, souple ou vigoureux. Si Saint-Privat eût tenu bon, il n’eût jamais été forcé dans sa position, pas plus que Le Bœuf et Frossard. La défense de Saint-Privat a été une des plus glorieuses pages de la glorieuse carrière de Canrobert. Seul Bourbaki n’a pas été lui-même : sa bravoure s’est effarouchée de la responsabilité qui lui était laissée et il n’a su comment l’employer.

Combien peu se ressemblent le Bazaine de Rezonville et le