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en fut la conséquence obligée. Elle indique comme simplement imminent le mouvement des Allemands, consommé, triomphant, qui constituait pour eux une immense victoire. Bazaine raconte la bataille non telle qu’elle fut, mais telle qu’il l’aurait voulue. Il la réduit toujours à n’être que la « défense des lignes d’Amanvillers » et non la colossale bataille de Gravelotte-Saint-Privat. Il revient sur son intention prochaine de prendre la direction du Nord et de se rabattre ensuite par Montmédy sur la route de Sainte-Menehould. Cette indication était déjà bien risquée le 17 août avant la bataille ; elle n’était pas sérieuse après. La route du Nord nous était absolument interdite. La journée du 16 août nous avait fait perdre la route de Verdun, la reculade du 17 celle d’Etain et de Conflans ; la défaite du 18 nous fermait celle du Nord.

Nos pertes avaient été de 12 399 hommes, 619 officiers, et celles des Prussiens de 19 260 hommes, 899 officiers. « Notre belle armée ! s’écrie Kreischmann, encore beaucoup de victoires comme celle-là, et elle n’existera plus. » — « Quelle gloire ! mais quelle tristesse ! » écrit Roon à sa femme.

En dictant ces chiffres, je n’en puis plus, tout pleure en moi. Qu’il était limpide l’horizon des peuples le 1er juillet ! Mais tout à coup, un nuage noir avait obscurci toute clarté, un ouragan furibond s’était déchaîné, et quinze jours à peine se sont écoulés, notre sol a été souillé, dévasté. L’Alsace est perdue, la Lorraine va l’être. Paris est menacé : 30 000 Français, 50 000 Allemands, tous également braves gens, n’ayant aucun sujet de se détester, aimant la vie, ayant des mères, des femmes et des enfans, fils de la même civilisation, artisans d’un progrès semblable, destinés à se rapprocher pour se compléter, et non à se ruer les uns sur les autres pour se détruire ; des milliers de jeunes gens vaillans, auxquels on n’a pu accorder le sépulcre d’un sillon retourné, gisent sur le sol humide de leur sang. Et pourquoi ces hécatombes, ces tueries, ces chaumières incendiées, ces récoltes ravagées, ces malheureux affamés ? Pourquoi cette désolation, là où, quelques jours avant, régnait la douce paix ? Parce qu’il a existé un barbare de génie qui, trouvant trop lointaines les conquêtes de la persuasion et trop lente la marche naturelle de l’aiguille sur le cadran du temps, l’a poussée de son doigt brutal, espérant trouver dans le succès d’une guerre heureuse le moyen d’établir immédiatement sa domination. Et cette