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des hauteurs à la retraite des corps qui les occupaient ; il mettait son point d’honneur à les enlever de haute lutte le soir même. Il ordonna à Manstein un en avant ! général et il lui adjoignit la brigade du IIIe corps en réserve à Vernéville. Mais ce mouvement ne put pas être exécuté et le prince dut se borner à une attaque sur Amanvillers. Ladmirault avait pris un dispositif en crochet et s’était préservé ainsi quelque temps d’une attaque de flanc ; mais, Saint-Privat enlevé, l’artillerie saxonne avait fait un bond en avant et battu en écharpe la division Cissey qui, prise ainsi de flanc et de front, ne put tenir et dut se résigner à la retraite. Grenier le suivit ; l’infanterie de la division Lorencez et la brigade Pradier, soldats aux cœurs de fer, soutinrent plus longtemps la lutte en désespérés, mais prirent enfin, eux aussi, la voie douloureuse de la retraite.

La retraite de Canrobert, soutenue par le général Péchot et par la cavalerie de Du Barail, s’accomplit d’abord avec ordre. L’artillerie allemande n’était pas entamée, mais son infanterie, surtout celle de la Garde, était dans une inexprimable confusion, en quelque sorte en bouillie, se cherchant, à bout de forces, dans l’état d’énervement qui suit un effort gigantesque, prête à la panique si un retour offensif s’était prononcé quelque part, hors d’état matériellement et moralement de suivre les vaincus qui fuyaient devant elle. Le désordre ne pouvait donc venir que de nous-mêmes. Il ne tarda pas et tourna à la débandade, à mesure qu’on s’enfonçait dans les bois et dans le ravin de Châtel-Saint-Germain : hommes, chevaux, voitures se croisaient, se heurtaient ; un grand nombre d’isolés se cachaient dans les bois ou se livraient à la maraude. Si Le Bœuf avait suivi Ladmirault, la panique aurait emporté la cohue qui se précipitait par une issue trop étroite. L’ennemi, ne sentant plus personne devant lui, aurait pourchassé les fuyards à la pointe de l’épée, et la retraite serait devenue une catastrophe.

Le Bœuf se rendit compte de ce qui se produirait s’il suivait l’ordre général de la retraite. Il prit sur lui de n’y point obéir, réunit ses généraux, leur exposa son intention de tenir bon jusqu’à ce que Canrobert et Ladmirault se fussent complètement écoulés. Il demanda à Frossard de l’imiter ; celui-ci promit de ne pas s’ébranler non plus, tant que le 3e corps resterait en position. En attendant, le général de Berckheim, commandant de la réserve du 3e corps d’armée, ordonna à nos batteries d’exécuter