Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les isolés et les blessés étendus le long de la route, le rejoint ; il lui rapporte que la panique est conjurée et l’offensive française arrêtée. Cependant Frédéric-Charles ne se montre pas : il s’est retiré à Doncourt où il passera la nuit. Mais les autres rapports venus des différens corps annoncent que sur toute la ligne les affaires ont bien marché : Saint-Privat est pris, la droite française en retraite et nos 2e et 3e corps tournés. Le Roi posa aussitôt la question : « Qu’allons-nous faire demain ? » Bismarck dit : « Maintenant, Sire, mon avis personnel est qu’après les terribles pertes de cette journée, nous ne devons pas continuer l’attaque demain matin, mais bien attendre les Français. » Verdy du Vernois s’écrie violemment : « Alors je ne sais pourquoi nous avons attaqué aujourd’hui. » Bismarck répond sur un ton non moins violent : « Que voulez-vous, monsieur le lieutenant-colonel ? » La querelle allait s’échauffer, mais Moltke passa entre les deux interlocuteurs et, s’adressant au Roi de sa voix ferme et calme : « Sire, il ne nous reste plus qu’à donner l’ordre d’attaque, au cas où l’ennemi serait encore demain matin devant Metz. » Le Roi ordonna à Moltke de préparer cet ordre. Ensuite on discuta les termes du télégramme à expédier à la Reine. Bismarck rédigea un texte que le Roi trouva trop emphatique ; le Roi en proposa un que Moltke estima trop humble ; enfin, à neuf heures du soir fut expédié à la Reine le télégramme suivant : « L’armée française, en forte position à l’Ouest de Metz, a été attaquée aujourd’hui sous ma direction. Dans une bataille qui a duré neuf heures, elle a été complètement battue, rejetée sur Metz, ses communications avec Paris coupées. — Guillaume. »

Le Roi crut un moment qu’il serait obligé de coucher dans sa voiture, au milieu des chevaux morts ; on finit par lui trouver un gite, où il reposa plus doucement que dans son palais.


VIII

Le récit de la bataille est terminé, et j’y ai à peine prononcé le nom de Bazaine. C’est une indication de ce qu’a été son rôle, celui de l’effacement.

Il ne faudrait pas faire du mot effacement un synonyme d’apathie, de l’apathie d’un égoïste qui assiste indifférent à l’épreuve terrible que va traverser son armée. Dans toute la