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à crier : Halte ! Tout cela s’était produit en un temps fort court. J’attendais la cavalerie française. — Pour prouver combien les Prussiens croyaient alors la bataille perdue, je puis dire que j’ai vu un major prussien blessé à la jambe supplier de ne pas le laisser là, quelque douleur que dût lui coûter la marche, pour qu’il ne fût pas prisonnier des Français[1]. »

L’effet de cette panique se fit sentir jusqu’à la Malmaison et obligea le Roi à effectuer encore un changement de position. Il se retire vers Rezonville (7 h. 1/4), éclairé par les incendies des fermes et des maisons qui créent un jour dans l’obscurité. Moltke ne le suit pas ; il va sur le champ de bataille à Gravelotte, et, pour la première fois, il passe sur le front des troupes. On a même prétendu qu’il conduisit à l’attaque le IIe corps, qui venait d’arriver sur le plateau. « Un chef d’état-major eût manqué à tous ses devoirs par cette immixtion irrégulière, et, d’ailleurs, le vaillant Fransecki qui commandait le IIe corps ne l’eût pas tolérée[2]. » Le Roi n’avait pas trop présumé de ses Poméraniens. Ils le croisent sur la route de Rezonville, ils l’acclament, et, alertes comme s’ils sortaient de leur bivouac, ils se dirigent vers les carrières et à quelques centaines de pas du Point-du-Jour. Ils sont si pressés de combattre que, par mégarde, ils prennent des Prussiens pour des Français et leur font subir un véritable carnage. Eux-mêmes sont très cruellement éprouvés et perdent un grand nombre d’officiers et de soldats.


VII

Moltke avait eu raison contre le Roi : le ravin de la Mance était un obstacle infranchissable. Chaque fois que les Allemands avaient essayé de s’établir sur son bord oriental et d’atteindre la hauteur, ils avaient été refoulés. « Il était démontré que l’aile gauche des Français, qui occupait une position presque imprenable, grâce à la configuration du terrain et aux travaux qui y avaient été faits, n’en pouvait être délogée, en dépit du dévouement et de la bravoure des troupes, même au prix des plus grands sacrifices[3]. »

Et Moltke avait eu raison contre Steinmetz, plus encore que

  1. Winn cité par Hozier, Franco-Prussian War, p. 385, ch. XII, t. I.
  2. Verdy du Vernois, Souvenirs, p. 114.
  3. Moltke, Guerre de 1870, p. 74.