Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/262

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tel était le dessein de Bazaine, car il leur avait prescrit de s’en tenir strictement à la défense de leurs excellentes positions. Ils se conforment à ces instructions ; ils retiennent leurs troupes au bord du ravin de la Mance, car, en y descendant, elles perdraient la supériorité de la position dont elles venaient de profiter si efficacement. Ne nous sentant plus sur ses talons, l’état-major prussien reprend son aplomb et délibère. Moltke est d’avis de différer au lendemain la suite du combat ; on ne peut le reprendre qu’avec le concours du IIe corps ; il approche, mais il marche depuis deux heures du matin ; n’est-il pas dangereux de demander un dernier effort à des hommes exténués de fatigue ? Le Roi estime qu’aucun effort n’est au-dessus du courage de ses braves Poméraniens. L’idée de rester refoulé au pied de ces hauteurs, là où est la victoire, lui est insupportable, et à l’heure même où, à l’autre extrémité de sa ligne, les Saxons accourus lui assurent une victoire, il veut lui aussi en gagner une. Il ordonne un nouvel « en avant » général.

Les bataillons du VIIe corps, disposés, les uns sur la lisière orientale du bois de Vaux, les autres en réserve, abordent les hauteurs du Point-du-Jour. Cette fois, la résistance de Le Bœuf et de Frossard est encore plus vigoureuse. Notre première brigade de voltigeurs accourt de Châtel-Saint-Germain à l’appui de la division Aymard ; des tirailleurs débouchent en lignes épaisses, chassant devant eux les Allemands isolés par petits groupes, le plus souvent sans chefs, épars en rase campagne, et les culbutent jusque dans le ravin ; les efforts des officiers ne réussissent pas à ramener leurs hommes sur les épaulemens au pied desquels sont amoncelés tant de cadavres. Un grand nombre succombe, ces troupes restées sans officiers sont encore une fois saisies de panique. Un Anglais, Winn, présent sur les lieux, nous en a donné la description. « Les soldats allemands, dit-il, surpris par la soudaineté de l’attaque, s’enfuirent comme des lièvres. N’importe qui, arrivant à ce moment, aurait pensé que les Prussiens avaient été mis en complète déroute. Je n’avais jamais vu auparavant une fuite aussi précipitée, et je crois que peu de militaires en ont vu de telles. Artillerie, infanterie, bagages, ambulances, tous les genres de troupes imaginables se précipitaient pêle-mêle à la file. Les mots : « La cavalerie française arrive » étaient sur toutes les lèvres prussiennes, excepté sur celles des officiers qui s’enrouaient