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lasser et s’acharnent jusqu’à complet épuisement de leurs forces. De même que les vagues furieuses, en se précipitant sur un roc, se brisent en écume, les assaillans furibonds, en se heurtant à nos lignes de fer et de feu, s’émiettent en morceaux sanglans.

La division Hartmann est fusillée, les cuirassiers sont refoulés, les uhlans précipités dans les carrières du Caveau d’une hauteur de 30 à 40 pieds ; des officiers de l’état-major sont tués ; les hommes isolés s’échappent du ravin en poussant des cris de terreur ; partout gisent les pièces abandonnées, les avant-trains démolis et culbutés. Une horde de cavaliers en débandade débouche des bois en hurlant, foule aux pieds les débris des régimens d’infanterie, qu’on essayait de rassembler sur la grand’route, et se jette en trombe au travers des voitures parquées dans les champs. La masse des fuyards s’éparpille en arrière, sourde à toutes les menaces ; elle continue sa course éperdue, jusqu’à ce que l’éloignement du danger permette enfin de l’arrêter. C’est une déroute échevelée.

Le Roi, trop rapproché du champ de bataille (5 h. 1/4), n’est plus en sûreté. Roon l’oblige à se porter en arrière ; Bismarck, séparé de lui, le rejoint péniblement au milieu des obus passant au-dessus de sa tête, labourant le sol sur lequel il galope. Les plus sombres perspectives apparaissent au Roi et à son ministre ; l’ordre est envoyé de débarrasser les ponts de la Moselle et leurs abords. Des officiers vont vers Fransecki (IIe corps) afin qu’il hâte sa marche sur Gravelotte.


VI

Il y a là un moment heureux pour nous. La Garde prussienne est étendue au pied de Saint-Privat ; Steinmetz est en déroute ; les forces ennemies sont disséminées sur un arc de cercle de seize kilomètres, dont nous tenons la corde. Mais nos forces ne nous permettent pas d’agir à la fois à notre droite et à notre gauche, d’arrêter les Saxons qui s’avancent sur Canrobert à notre droite et de pousser à bout à notre gauche notre avantage sur Steinmetz. En vue d’une intervention vigoureuse au profit de Canrobert, il était prudent de ne pas dépasser contre Steinmetz l’offensive courte qui n’était qu’un moyen de donner de l’air à la défensive. Frossard et Le Bœuf pouvaient croire que