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sanglantes et opiniâtres échappant à toute analyse et qui se prolongent jusqu’à la nuit close. A huit heures du soir seulement, les Allemands sont enfin les maîtres « de cet amas de ruines dont la conquête leur a coûté si cher[1]. »

Canrobert avait rempli jusqu’à épuisement la première partie des instructions de Bazaine : Tenez bon ! Il est obligé maintenant de se rappeler la seconde partie de ces instructions : « Si vous êtes forcé, retirez-vous sur les positions reconnues en arrière. » Avant de s’y résigner, il demande à Du Barail une charge de cavalerie. Du Barail fait déployer la brigade Bruchard. Il fallait parcourir 600 mètres pour atteindre l’artillerie ennemie, on n’en avait point parcouru cinquante que les deux régimens étaient désorganisés, le général avait son cheval abattu, son aide de camp était mortellement blessé. Les balles et les obus faisaient dans les rangs de tels vides que les cavaliers dégringolaient les uns sur les autres. Une lueur d’espoir anime encore le cœur de ces indomptables. « Ecoutez, dit tout à coup Canrobert à Du Barail, on bat la charge derrière nous, c’est une division de la Garde, nous allons reprendre Saint-Privat. » Ce n’était pas la Garde, c’était le colonel du 100e de ligne, qui avait imaginé de faire battre la charge par tout son groupe de tambours pour rassembler les hommes dispersés dans les bois. Le général Péchot avait défendu vigoureusement contre les Saxons la lisière du bois de Jaumont et la route chaussée qui la précédait, puis les carrières dans lesquelles il avait embusqué ses soldats. Il est à son tour obligé de rompre sur Bronvaux.

Elle apparut enfin, la Garde, réduite à sa division de grenadiers, ses deux batteries de réserve à cheval ; elle arriva lorsqu’il n’en était plus temps et qu’elle n’avait plus qu’à recueillir les fuyards.

Le lieutenant-colonel Montluisant avait établi en arrière de Saint-Privat, en avant d’Amanvillers, sept batteries sur une pente très inclinée, permettant à toutes les bouches à feu de tirer les unes par-dessus les autres. Trois batteries de la division Picard de la Garde et deux des batteries de la réserve se mirent également en position. Cette masse imposante retint dans Saint-Privat les Prussiens, qui d’ailleurs étaient à bout de forces. « C’est un désastre ! » s’écrie Canrobert

  1. Historique du grand état-major prussien.