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cette plainte de Bourbaki, la dissémination est maintenue et les membres séparés ne sont pas rejoints. Sous le nom plein de promesse de Garde, il ne reste plus sous le commandement du général Bourbaki qu’une division, la division Picard, composée d’un régiment de zouaves et de trois régimens de grenadiers ; c’est peu en comparaison de ce qui aurait dû être, c’est cependant encore une force sérieuse. Bourbaki avait reçu plus que la liberté réglementairement due à tout chef de réserve, Bazaine lui avait conféré une liberté d’agir entière où il voudrait, quand il voudrait, comme il voudrait. Cette liberté le gêne ; il ne s’en sert pas ; il demande des ordres. Les ordres n’arrivent pas ; alors il prend sur lui de marcher[1] (2 heures) et il envoie chercher son artillerie de réserve à Saint-Quentin. Ses troupes s’avancent avec un entrain et une impatience de combattre qui éclatent tout le long de la route en propos joyeux ; elles se portent, moitié marchant moitié courant, vers le Gros-Chêne, puis dans une situation magnifique plus en avant. Là il crie à ses soldats impatiens : Halte ! Il réclame de nouveau des ordres ; les ordres n’arrivent pas ; il attend. Attente désastreuse : dès une heure et demie, dans un ordre général aux chefs de l’armée enjoignant de tenir les hommes dans les camps, Bazaine avait ajouté en post-scriptum : « Le maréchal commandant en chef fait savoir que le maréchal Canrobert est attaqué sur la droite. » Bourbaki savait donc où en était Canrobert. Cet avis ne lui fùt-il point parvenu, le canon le renseignait. Il aurait dû envoyer des officiers en quête de Canrobert et se mettre à sa disposition. Il attend. Sa liberté le déconcerte. « Je ne la comprends, a-t-il dit plus tard[2], que dans une sens très relatif, car ce n’est pas la coutume qu’il en soit ainsi. » Il persiste à vouloir des ordres. Les ordres n’arrivent pas.

Accourent, l’un après l’autre, deux messagers, l’aide de camp

  1. Audience du 13 octobre. Le Duc d’Aumale lui demande si, à trois heures, le général Bourbaki n’avait reçu aucun ordre formel et si c’est spontanément qu’il conduisit les grenadiers au Gros-Chêne ?... Ne reçut-il aucun ordre de porter plus rapidement ses grenadiers au secours du maréchal Canrobert ?
    Le maréchal : Quand un général du caractère du général Bourbaki a reçu l’ordre de prendre les dispositions suivant les phases de la bataille, je le laisse libre...
    Le président : Vous n’avez pas pu faire donner un ordre nouveau au général ?
    Le maréchal : ... Non, je l’ai laissé agir... A des hommes de cette intelligence il faut laisser une grande latitude.
  2. Procès.