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Nous voici au moment décisif de la journée. Les autres fractions de la Garde, les Hessois, sont encore au bas du plateau et le corps saxon poursuit au loin son mouvement tournant. Si Canrobert est laissé à lui-même, épuisé d’efforts, écrasé par le nombre et surtout par une effroyable artillerie, il est perdu. Que notre Garde arrive, qu’ils arrivent les grenadiers de Picard, les voltigeurs de Deligny, les zouaves de Jeanningros, qu’elles arrivent nos batteries de réserve conduites par le Bourbaki d’Inkermann, qu’elles arrivent nos deux divisions de cavalerie ! Un hourra formidable d’enthousiasme les accueillera et devant l’élan de ces braves électrisés, redevenus les audacieux de l’Alma, de Magenta et de Solférino, les rangs sans consistance de l’assaillant seront rejetés sur Sainte-Marie. Ensuite, si les Saxons n’ont pas été déjà suffisamment sabrés entre Roncourt et Auboué par la charge à fond de notre cavalerie, qu’ils débouchent du côté qui leur plaira, ils seront royalement reçus[1].

Mais notre Garde, au sens propre du mot, n’existe plus. Elle n’existe plus, cette petite armée unique placée dans la main d’un chef d’élite, prête à fondre en ouragan, au geste du généralissime, sur le point où sera la défaite ou la victoire. Dans

  1. Si nous admettons, a dit le général Goltz que, le 18 août 1870, la Garde impériale eût été en réserve derrière l’aile droite française, au lieu de l’être derrière la gauche, et qu’un Bonaparte commandât sur les hauteurs de Saint-Privat, un retour offensif du défenseur sur Sainte-Marie-aux-Chênes, contre nos bataillons fortement épuisés et décimés, eût fort bien amené un grand résultat s’il avait été fait au moment où la Garde prussienne cessait son attaque et où le mouvement tournant des Saxons ne se faisait pas sentir encore. » (Nation armée, opérations et combats, p. 347.) « Si dès le matin du 18, a écrit Frossard, lorsque les mouvemens reconnus de nos ennemis n’ont plus laissé de doutes sur l’imminence d’une attaque, le corps de la Garde impériale avait été posté en arrière de notre aile droite, avec la réserve générale d’artillerie de l’armée, cette puissante réserve, troupes d’élite et artillerie, dissimulée par les bois, en arrière de Saint-Privat-la-Montagne, se fût montrée quand le XIIe corps (saxon) est entré en ligne de ce côté, c’est à elle que les Saxons auraient eu affaire. L’ennemi avait été repoussé à plusieurs reprises à la droite, soutenu vaillamment au centre. Son aile gauche saxonne venant à être culbutée par le choc de la Garde impériale, quelle chance lui restait-il ? Nous devons avoir plus de regrets de cette bataille perdue que de tous nos autres malheurs. » « Il est étonnant que Bazaine, à la fin de son rapport, déclare encore que l’intention des Allemands avait été et était de le couper de Metz. Le croyait-il ? En tout cas, il n’a pas mentionné dans son rapport ni dans sa défense (L’armée du Rhin) que dans le courant de la journée de Gravelotte il eût pu, s’il avait été un général de génie, changer la face du combat. C’était vers les quatre à cinq heures, après l’échec de l’attaque prussienne sur Saint-Privat et lorsque l’aile droite allemande était fortement ébranlée. Si, à ce moment, le maréchal avait attaqué avec son aile gauche et la Garde impériale fraîche, il eût été très difficile, voire impossible aux Allemands de résister. Mais Bazaine ne sut pas saisir le « moment. » (Joannes Scherr, p. 354.)