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la gauche de cette brigade, s’établit la 1re brigade de la Garde dans le même ordre.

Canrobert, préoccupé de ce qui se passait vers Roncourt, n’apercevait pas, du point où il se tenait, les remuemens préparatoires de l’attaque qui allait fondre sur lui. Cissey, mieux placé, les voyait. Il envoie à Canrobert son chef d’état-major Garcin. Canrobert ne croit pas aux renseignemens, l’écoute à peine, le brusque ; Garcin insiste : « Vous êtes donc Breton ? » demande Canrobert impatienté. — Non, je suis Lorrain, c’est la même chose. Je suis désespéré d’avoir mal rempli ma mission, puisque vous ne croyez pas au péril qui menace Saint-Privat. » Il lui indiqua à proximité un point du terrain d’où l’on pouvait se rendre compte des préparatifs de l’ennemi. « Eh bien ! j’y vais avec vous. » Le maréchal vit alors ce que Cissey avait vu et serra affectueusement la main de Garcin en lui disant : « Merci. Dites au général de Cissey que je compte sur lui pour me soutenir et se mettre en position pour recevoir en face l’ennemi. » Et il courut renforcer Saint-Privat dégarni de troupes. Et Cissey, motu proprio, par un rapide changement de front sur sa droite, s’établit face au flanc droit des deux colonnes prussiennes.

Les deux brigades de la Garde prussienne, pleines de confiance, s’avançaient d’un pas précipité vers la ferme de Jérusalem et vers Saint-Privat, sur un terrain plat et découvert. Dès qu’elles parviennent dans la zone dangereuse, Canrobert crie : Feu ! à ses tirailleurs qui couvrent la pente, couronnent la crête, embusqués dans les tranchées, derrière les haies, sur le toit des maisons de pierre du village. Cissey prend en écharpe les deux colonnes d’assaillans et, sous ce double feu convergent, en un clin d’œil la Garde est décimée, ravagée, taillée en pièces ; presque tous les officiers sont mis à terre ; les compagnies fondent sous le feu meurtrier des chassepots : près de huit mille hommes jonchent le sol ; cette belle troupe est presque anéantie[1]. Les survivans continuent à s’avancer et, profitant des faibles couverts que leur offrent les pentes plus escarpées, peuvent respirer un peu.

  1. C’est à la suite de cette action que l’armée allemande renonça à l’attaque de la ligne de colonnes sur un terrain découvert, cette disposition ayant été considérée comme trop dangereuse et souvent impraticable. Le gros de la première ligne devra désormais se former en ordre mixte et agir, même au moment de l’attaque, en groupes moins forts que le demi-bataillon.