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elle ne va point tarder à lui paraître une nécessité souhaitable.

Cette lettre bien lue annonce donc l’abandon de sa droite, dont il se désintéresse absolument, et dont par conséquent il ne s’occupera plus : que Canrobert se débrouille comme il le pourra, c’est son affaire et qu’il tienne ou qu’il recule, ce ne sera pas un mal. Pour Bazaine, la bataille n’est pas là, elle est à gauche où il est, où il restera.

Canrobert n’avait à ce moment qu’à obéir à la première partie des instructions de Bazaine : Tenez bon ! Lui et ses braves troupes n’y manquèrent pas. Il eût voulu débuter par une attaque de cavalerie. Il envoya à Du Barail l’ordre de charger. « Mais sur quoi veut-il que je charge ? Une charge doit être préparée, or je ne vois rien devant moi, et au loin une artillerie formidable fauchera mes hommes avant qu’ils aient fait quelques pas. » Canrobert vint lui-même renouveler l’ordre. Du Barail lui expliqua ses raisons : « Vous êtes un véritable homme de guerre, » lui répond Canrobert. Et il n’insista plus. Il n’y avait à mettre en jeu que l’artillerie et la mousqueterie. En les engageant, Canrobert, sur le rapport d’un commandant d’artillerie effaré, arrivé de la veille, qui criait au manque de munitions devant des caissons pleins, envoya le commandant Chalus renouveler sa demande de munitions en ajoutant celle d’un régiment (2 h. 1/2).

Bazaine accorda tout ce qu’on lui demandait, sauf le régiment qu’il retint, et si tout ce qu’il avait promis n’arriva pas, ce ne fut pas sa faute. Indépendamment des munitions qu’il avait et de celles que lui envoya Bazaine, il reçut de Ladmirault quatre caissons. Ni les obus ni les cartouches ne manquèrent donc aux défenseurs de Sainte-Marie-aux-Chênes, et les Prussiens en firent l’épreuve[1]. Mais nos braves furent écrasés par quatre-vingt-huit pièces rangées en demi-cercle autour du village. Ils l’évacuèrent après avoir atteint la dernière limite des efforts possibles. Les Prussiens n’y arrivèrent que dans un pêle-mêle complet (3 h. 1/2). « Cette occupation fournit à l’assaillant un

  1. Montluisant : « Il disposait de 100 coups par pièce et la moyenne de la consommation à Solférino avait été de 29 coups par pièce et à Sadowa du côté des Prussiens de 61. Le 16, de 61 de notre côté, de 94 du côté des Prussiens. D’ailleurs les ressources générales de l’armée étaient plus que suffisantes à pourvoir à un usage exceptionnel de munitions ; elles abondaient ; il suffisait de les diriger où elles étaient nécessaires. »