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dispositions de défense nécessaires pour y tenir et permettre à l’aile droite de faire un changement de front, afin d’occuper les positions en arrière, si c’était nécessaire, positions qu’on est en train de reconnaître. Je ne voudrais pas y être forcé par l’ennemi, et, si ce mouvement s’exécute, ce ne sera que pour rendre les ravitaillemens plus faciles, donner une plus grande quantité d’eau aux animaux, et permettre aux hommes de se laver ainsi que leur linge. Votre position nouvelle doit vous rendre vos ravitaillemens plus faciles par la route de Woippy. Profitez du moment de calme pour demander et faire venir tout ce qui vous est nécessaire. J’apprends que la viande a été refusée hier soir parce qu’elle était trop avancée. Nous n’en sommes pas aux économies, et l’intendant aurait bien pu faire abattre de façon à donner de la viande fraîche. — Je vous envoie la brigade de cavalerie du général Bruchard, qui sera provisoirement détachée du 3e corps, jusqu’à ce que la division de cavalerie qui vous est destinée soit reconstituée. — Je pense que votre commandant d’artillerie a reçu les munitions nécessaires pour compléter vos parcs et caissons. »

Cette lettre découvre l’état d’esprit de Bazaine et va expliquer toute sa conduite de la journée. Les avertissemens de Le Bœuf et de Frossard ne l’ont pas convaincu que l’ennemi fût en train d’opérer une offensive à fond sur son aile droite, qu’une grande bataille allait se livrer et que c’est là qu’elle se déciderait. Il s’en tient à l’hypothèse d’une bataille limitée, qui pourrait s’engager par hasard et il la règle : Si le hasard amène cette attaque, il prévient Canrobert qu’il n’ait pas à compter sur lui ; il lui a envoyé des munitions, une division de cavalerie, mais c’est tout. Il ne peut pas lui répéter ce que depuis le matin il a dit à Le Bœuf, Ladmirault, Frossard : « Vous avez une excellente position ; défendez-la et tenez bon. » Il savait que Canrobert n’avait pas une excellente position, qu’il en avait même une mauvaise, malgré le peu qu’on avait fait pour l’améliorer. Il n’aurait pu lui dire qu’une chose : « Si l’ennemi menace votre position, avertissez-moi, j’accourrai. » Au contraire, il dit implicitement : « Prenez vos dispositions pour tenir à Saint-Privat ; si vous n’y réussissez pas, ne comptez pas sur moi, battez en retraite sur les positions que j’ai fait reconnaître. »

Le matin, la retraite sur de nouvelles positions en arrière lui paraissait une hypothèse ; à dix heures, elle devenait une probabilité ;