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étaient formelles : y désobéirait-il ? improviserait-il une manœuvre qui en serait complètement différente ? Soldat dresse à l’obéissance stricte, il délibéra « d’un cœur lourd[1], » et il finit par se dire que, l’instruction générale étant d’envelopper notre aile droite et que cette aile droite étant à Saint-Privat, il exécuterait véritablement son ordre en le violant. Il laissa Vernéville de côté et, par un large front, se dirigea vers Saint-Privat. Frédéric-Charles, avisé de cette initiative, ne l’approuva pas, car, provisoirement, en attendant le succès du mouvement enveloppant, le IXe corps, très compromis, se trouvait sans appui ; mais il ne s’opposa pas à la conversion commencée, les contremarches devant coûter trop de temps.

Il se rendit à Habonville, d’où se découvrait tout le champ de bataille. Là il constata à son tour que notre droite était bien à Saint-Privat, et non à Amanvillers, et il changea la destination qu’il avait donnée à la Garde et au XIIe corps saxon : la Garde aurait le même rôle d’attaque frontale du centre de la position française que le IXe corps, et le corps saxon effectuerait le cernement réservé jusque-là à la Garde.

Mais le plus pressé était de tirer le IXe corps de la position de déroute où la témérité de Manstein l’avait placé. Il lui envoya une brigade et opéra une concentration d’artillerie. Il ajouta à ses pièces des batteries hessoises, des batteries à cheval, des batteries de la Garde et du IIIe corps : en tout, 120 pièces qui formèrent une frontière de feu devant laquelle l’offensive de Ladmirault fut obligée de s’arrêter. Mais quand l’infanterie allemande voulut compléter l’œuvre de l’artillerie et enlever notre position, elle n’y parvint pas : elle prit seulement la ferme de Champenois et, malgré tous ses efforts, elle n’entama pas le large front de Ladmirault. L’épuisement des troupes de part et d’autre était tel que « sur cette partie du champ de bataille, la lutte subit une interruption presque complète[2]. »

Plus à gauche, les nouvelles instructions de Frédéric-Charles n’avaient pas été non plus respectées. Il avait enjoint à la Garde de ne pas aborder avec l’infanterie les hauteurs de Saint-Privat, avant que le mouvement tournant confié aux Saxons ne fût en pleine réalisation ; jusque-là, l’artillerie seule tiendrait l’ennemi en haleine. Le commandant de l’artillerie de la Garde, Hohenlohe

  1. Expression de Hohenlohe.
  2. Moltke, La Guerre de 1870, p. 70.