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veille au sien. Les événemens l’ont surprise comme tant d’autres ; elle a essayé d’en réparer ce qu’elle a considéré pour elle comme un amoindrissement relatif en se faisant donner Silistrie ; mais croit-on qu’elle se tienne pour satisfaite, et surtout qu’elle se tiendrait pour telle si la Bulgarie grandissait encore à ses côtés dans une proportion considérable ? On peut assurer hardiment le contraire. Ce sont là des considérations qui devraient faire réfléchir les pays balkaniques, s’il y a vraiment des intérêts spécifiquement balkaniques ? Pendant la guerre, nous avons cru à ces intérêts et à leur solidarité : nous continuons de croire, après la guerre, que la solidarité entre eux des peuples balkaniques est la meilleure sauvegarde de leur liberté et de leur dignité.

Nous avions sans doute le pressentiment du danger qui les menaçait ; leur histoire même était à cet égard un avertissement ; mais nous espérions que la leçon de la guerre leur profiterait et que, dans tous les cas, ils mettraient quelque temps à l’oublier. Qui aurait pu prévoir que, tout de suite, ils s’apprêteraient à tourner les uns contre les autres les armes dont ils venaient de se servir en commun contre la Turquie ? Qui aurait pu prévoir que, tout de suite, on verrait se dessiner les linéamens d’une politique future, prochaine, déjà entamée, où les États balkaniques se diviseraient en cliens de telle grande puissance, ou de telle autre ? Le seul moyen pour eux d’échapper au péril qu’ils ont eux-mêmes provoqué est d’accepter résolument l’arbitrage de la Russie. La sentence, quelle qu’elle soit, ne satisfera pas tout le monde, mais ses inconvéniens, si elle en a, seront moins graves et moins durables que ceux auxquels nous venons de faire allusion. Il s’agit en réalité de l’indépendance des Balkans : elle est née de l’union des peuples balkaniques, elle ne se perpétuera que dans cette union, elle n’y survivra pas.

Nos conseils ne sauraient ici être suspects : nous sommes trop loin des Balkans pour ne pas y pratiquer un désintéressement sincère. Rien de ce qui s’y passe, soit en bien, soit en mal, ne nous atteint personnellement, ou du moins ne le fait gravement. Mais la France, et c’est un des côtés généreux de son histoire, a toujours eu pour idéal l’affranchissement des peuples opprimés. Voilà pourquoi, bien qu’elle ait été à travers les siècles toujours l’amie et souvent l’alliée de la Turquie, elle a applaudi avec un élan du cœur au courage des peuples balkaniques, à leurs victoires, à leur libération. Son désir, aujourd’hui, est de pouvoir conserver d’eux l’image qu’elle s’en est faite. Et enfin la paix de l’Europe est peut-être attachée à celle des Balkans, On l’a