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partager les dépouilles, et on ne saurait se dissimuler que, si le danger est écarté dans le présent, il subsistera dans l’avenir. Les ambitions de la Bulgarie sont légitimes, mais elles sont grandes. La Bulgarie a fait d’immenses sacrifices pour avoir une armée et, quand elle l’a eue, elle a montré, il faut bien le dire, un admirable héroïsme dans l’usage qu’elle en a fait. Mais les autres nationalités balkaniques, elles aussi, et notamment la Serbie, ont fait des sacrifices et ont montré de l’héroïsme. On a répété souvent, trop souvent peut-être, que la Bulgarie serait la Prusse ou le Piémont des Balkans, et que l’hégémonie de la péninsule lui appartiendrait un jour. Macbeth ne s’est pas impunément entendu dire qu’il serait roi, peut-être parce qu’il se le disait secrètement à lui-même et que la voix des sorcières était celle de sa propre conscience. Il arrive aux peuples la même chose qu’aux hommes : la Bulgarie a entendu et écouté des prophéties, qui sont devenues pour elle des ordres du destin. Mais ni la Serbie, ni la Grèce ne s’y prêteront sans résistance : on n’a jamais vu dans l’histoire des réalisations de ce genre se produire sans de violens conflits.

Pourtant les États balkaniques devraient comprendre que leur force est dans leur union : l’expérience qu’ils viennent de faire est à cet égard significative. Alliés, ils ont battu les Turcs ; le jour où ils ne le seront plus, ils ne seront même plus assez forts les uns contre les autres pour qu’aucun d’eux soit absolument assuré de la victoire, et alors, les intrusions étrangères ne manqueront pas de se produire : peut-être même seront-ils les premiers à les provoquer, à les solliciter. L’empereur Nicolas a déclaré que, si le conflit éclatait, il ne s’en désintéresserait pas : mais d’autres ne s’en désintéresseront pas davantage et y apporteront d’autres intentions que les siennes. Les résultats de la guerre balkanique n’ont pas causé à tous des surprises agréables, et quelques-uns de ceux qui ont paru s’incliner devant la soudaineté des événemens ne manqueront pas de se ressaisir si on leur en donne l’occasion. Pourquoi ne pas dire que nous songeons en ce moment à l’Autriche ? Nous ne sommes pas de ceux qui lui font un crime de penser à ses propres intérêts et de les défendre par les moyens qui s’offrent à elle. Pour peu qu’on lise l’histoire, on verra que tout le monde en a fait autant, parce que personne n’a de goût pour l’abdication ni pour le suicide. Il est naturel que l’Autriche cherche des cliens dans les Balkans, mais il l’est moins qu’elle les y trouve, parce que ces cliens, quels qu’ils soient, en introduisant l’étranger dans leurs querelles de famille, lui ouvriront une porte qu’il ne repassera plus. Si l’Autriche veille à son intérêt, la Roumanie