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demande donc à Votre Majesté de rester fidèle aux obligations contractées par Elle et de s’en rapporter à la Russie pour la solution du différend actuel entre la Bulgarie et la Serbie, considérant les fonctions d’arbitre non pas comme une prérogative, mais comme une obligation pénible à laquelle je ne saurais me soustraire. Je crois devoir prévenir Votre Majesté qu’une guerre entre alliés ne saurait me laisser indifférent ; je tiens à établir que l’État qui aurait commencé cette guerre en serait responsable devant la cause slave, et je me réserve toute liberté quant à l’attitude qu’adopterait la Russie vis-à-vis des résultats éventuels d’une lutte aussi criminelle. » Ce document fait grand honneur à l’empereur Nicolas. C’était, comme il le dit, un devoir pour lui, non pas de proposer son arbitrage, mais de le notifier. En le faisant, il assumait une lourde charge, car sa sentence, quelle qu’elle soit, mécontentera une des deux parties et beaucoup plus probablement toutes les deux. Mais lui seul avait, — peut-être, — une autorité suffisante pour empêcher la guerre d’éclater et, dès lors, quelle n’aurait pas été sa responsabilité devant l’histoire, s’il s’était abstenu ?

Il a donc fait entendre aux deux alliés d’hier un langage noble, élevé, sévère, conforme au sentiment de la conscience universelle. L’émotion a été grande, en effet, lorsqu’on a appris que les États balkaniques dont on avait tant admiré l’accord contre l’ennemi commun, le patriotisme, l’héroïsme, étaient sur le point de se faire la guerre. Après la grande déception causée par la Jeune-Turquie, faudrait-il en enregistrer une nouvelle causée par les États balkaniques ? Faudrait-il croire, comme on l’a tant dit autrefois, que seule la présence des Turcs les empêchait de s’entre-déchirer et que, le Turc éliminé, rien ne pouvait plus les retenir de le faire ? S’il en était ainsi, l’intérêt si vif qu’on avait pris à leur cause serait inévitablement diminué. L’empereur de Russie s’en est alarmé. Il n’a pas hésité à qualifier de fratricide et de criminelle la guerre qui semblait sur le point d’éclater ; il a déclaré qu’n n’y resterait pas indifférent et a réservé l’attitude ultérieure de la Russie. Puisse cet avertissement solennel être entendu ! Le seul regret qu’on puisse peut-être exprimer est que l’Empereur ait parlé au nom de la « cause slave, » car l’humanité tout entière, la civilisation, ce qu’on appelait autrefois la chrétienté sont intéressées au maintien de la paix dans les Balkans, et la cause slave n’est pas ici seule en jeu. En l’invoquant d’une manière aussi découverte, l’Empereur s’est exposé à susciter des susceptibilités qui, en effet, n’ont pas manqué de se produire. En vain avait-il pris la précaution de dire qu’il ne s’agissait pas