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prendre la seconde au sérieux. Le poète, l’artiste qu’est Julien se fait de lui-même d’abord, de sa personne et de son œuvre future, de son génie, de sa mission et de sa vocation, une idée véritablement exorbitante. Avec cela, son orgueil ou sa vanité se complique d’un état habituel et, proprement romantique, de mélancolie, que dis-je, de désespoir et de fureur. L’impiété, naturellement, y a sa place et son rôle. De ces excès d’ailleurs, aucune raison et pas la moindre excuse. Si Julien est l’autobiographie de l’auteur, — et nous devons croire, l’auteur l’ayant publiquement déclaré, qu’elle l’est en effet, — le héros ne nous paraît pas bien à plaindre. Le musicien de la Vie du poète, des Impressions d’Italie et de Louise n’a-t-il pas rencontré, sans trop longtemps l’attendre, la fortune, les honneurs et la gloire même ? A lui, comme à tel autre pensionnaire de la Villa Médicis, qu’il voyait dessiner un jour dans la campagne, certain prélat romain aurait pu dire : « Mon enfant, remerciez Dieu, si vous n’êtes pas ingrat. «  Ce serait plus simple, oh ! combien plus simple ! que d’accumuler en des scènes prétendues idéales et mystiques, pseudo-religieuses et laïquement sacrées, les divagations ampoulées et vides d’une esthétique de brasserie et d’une métaphysique d’estaminet, phraséologie à la fois prétentieuse et puérile, galimatias double, où les pensées d’un Homais semblent s’exprimer dans le langage d’un Zola.

Voilà pour la poésie, ou la littérature, et la pire. Mais la musique ? Elle n’est guère autre chose non plus que la musique de la Vie du poète, étendue, délayée, où flottent çà et là quelques rappels thématiques de Louise. Rien de nouveau, rien non plus de meilleur. L’épisode slovaque seul est poétique, émouvant par endroits, surtout à la fin, lorsque revient, — de la Vie du poète toujours, — un chœur, un appel attirant des voix de la nuit, qui nous parut autrefois et demeure encore une chose belle, de noble et pure beauté.

Louise, qu’il ne faut pourtant pas oublier, et dont M. Charpentier lui-même se ressouviendra peut-être un jour, cette Louise tour à tour charmante et triviale, avait témoigné, depuis la Vie du poète, d’un grand talent et d’une grosse erreur. Julien, hélas ! a réalisé non pas les promesses, mais les menaces de Louise. On nota, même dans Louise, des symptômes inquiétans. Rappelez-vous, au sommet de la butte, un soir de « quatorze juillet, » l’hymne à Paris illuminé, la déclaration, en duo, des droits de l’homme, et de la femme, à l’union libre, enfin tout le bruyant étalage d’un bric-à-brac pseudo-philosophique et social. Mais, dans Louise toujours, il y avait autre chose. Et c’était, pour la première fois peut-être, la promotion à la beauté véritable.