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Dans une certaine et très modique mesure, Julien pourrait passer pour une suite de Louise, le nouvel ouvrage de M. Charpentier ayant le même héros, du commencement à la fin, et, par momens, la même héroïne que l’œuvre ancienne. Mais Julien est bien davantage une amplification, ou, si l’on veut, une hypertrophie, dramatique et musicale, de la Vie du poète, symphonie lyrique antérieure à Louise et vieille aujourd’hui de vingt-deux ans. Hélas ! il faut l’avouer, cette nouvelle édition n’est pas heureuse. Revue et considérablement augmentée, elle a été corrigée aussi, mais dans le mauvais sens et comme à rebours. L’auteur « en a remis. » Autrement dit, M. Charpentier, poète et musicien, a fini par tomber, — un peu bas, — du côté, des deux côtés même, où dès le début il pencha : l’un est le romantisme, l’autre est le réalisme, l’un et l’autre poussés à toute outrance. De ces deux excès, Julien nous paraît former le plus déplorable amalgame. Le poème, où le merveilleux alterne avec la trivialité, pour ne pas dire plus, ou moins, consiste en une série de tableaux, série descendante et véritablement dégradée. Première scène : la chambre de Julien à la Villa Médicis ; la chambre de Julien, et de Louise, par Julien séduite à Paris et emmenée à Rome. Pensionnaire de l’Académie, Julien n’est cependant pas un artiste, mais un poète. Cette infraction aux règlemens n’a d’ailleurs aucune importance. Le soir tombe, et sur les destinées de la poésie en général et de sa poésie en particulier, voici que Julien se répand en grandiloquentes vaticinations. Louise lui donne la réplique, plus modestement. Elle a pourtant une ambition, un rêve, la petite ouvrière : elle aspire à refléter l’âme et le génie d’un grand homme, à devenir, à « passer » Muse. Aux tableaux suivans elle aura cet honneur. Alors commence la partie symbolique de l’histoire. En trois scènes successives, nous voyons Julien entreprendre, puis achever, en compagnie de Louise, une sorte de pèlerinage vers l’Idéal. Cela débute par l’ascension d’une montagne sainte, pour continuer par la traversée d’un abîme ou fosse dantesque, où sont entassés les poètes déchus ; et cela se termine dans un temple, au milieu d’un personnel sacerdotal ou maçonnique, par une espèce d’initiation aux mystères, au culte, à la religion enfin de la Beauté : celle-ci, comme bien l’on pense, ayant pris les apparences, transfigurées et radieuses, de la petite midinette.

Puis nous revenons au réel et sur terre, sur la terre slovaque, laquelle est située, vous n’êtes pas sans l’ignorer, quelque part au Nord de la Hongrie. Là, parmi les paysans, le Julien de M. Charpentier, j’allais dire le Faust de Berlioz, promène son éternelle inquiétude,