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et silencieuse à demi. Même procédé… que dis-je, même absence de procédé et de recherche dans la scène d’Euryclée reconnaissant Ulysse. Peu de moyens, élémentaires, mais efficaces : un trémolo, voilà tout, pour soutenir la parole furtive, et pour l’aviver.

La parole surtout, M. Fauré l’a bien servie. Musicien français, il lui rend les honneurs auxquels, en toute musique purement française, elle a droit. Il la traite à l’antique, avec simplicité, mais avec noblesse. Il la place, au besoin il l’isole, libre et nue, tantôt en pleine lumière, tantôt dans la pénombre. Loin de l’envelopper de l’orchestre, de l’étouffer sous la polyphonie, il tire d’elle-même la valeur, la beauté, verbale et chantante, qu’elle contient et que les maîtres seuls en savent exprimer. Le musicien de Pénélope a su donner au discours, au dialogue, à la moindre phrase, au plus petit mot, l’intonation, l’inflexion qui convient et qui suffit. Ainsi noté, un mot, un seul encore une fois, peut être, par le sens et par le son, une chose exquise, une chose profonde. Le premier acte de Pénélope apparaît tout parsemé de ces mots-là, d’autant plus précieux que, dans notre langue musicale, ils abondent moins aujourd’hui. Orchestre tempéré, mélodie flottante et un peu voilée, harmonie subtile, déclamation juste et touchante, il est une scène choisie, où la rencontre de ces divers élémens forme un tout vraiment délicieux : c’est la dernière scène du premier acte. Lisons, relisons-la, puisque jusqu’à l’automne on ne pourra plus l’entendre. Elle offre im exemplaire achevé du meilleur style de M. Fauré ; non seulement une indication, mais un gage de ce qu’il a voulu, de ce qu’il a su faire, et cela se pourrait définir en trois mots, qui sont : dégager, alléger, éclaircir. Par là surtout cette scène est antique et vraiment grecque. Elle rappelle certaine phrase de Taine disant, — à peu près, — des Anciens, que par une sage économie ils pourvoyaient à nos plaisirs avec une perfection où nos modernes prodigalités n’atteignent pas. Le musicien de Pénélope, — et l’on ne saurait trop l’en féliciter, — a su plus d’une fois être un Ancien de cette manière.

Le rôle de Pénélope a été chanté et joué par Mme Bréval avec la plus noble lassitude ; celui d’Ulysse, avec autant de retenue que d’élan, suivant les circonstances, par M. Muratore. Et la représentation visible de l’ouvrage (décors et costumes, paysage du second acte et danseuses d’un vert billard) nous a laissé de pénibles souvenirs.


On ne devrait, a dit Renan, écrire que de ce qu’on aime. Nous écrirons peu de Julien.