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Pénélope se souvient et reproche aux prétendans d’oublier que sous les haillons d’un mendiant, un héros peut se cacher, même un dieu. Oui, la musique de cette page est profonde. Elle « va loin, » dirait Carlyle, allant jusqu’à nous découvrir dans un cœur de femme, et dans un cœur antique, le trésor non seulement de la pitié, mais de la piété.

Les dernières pages de ce premier acte en sont peut-être les plus exquises. Elles forment comme une équation parfaite entre les deux élémens ou les deux termes, désormais classiques : le paysage et l’état d’âme. Quelle marine et quel nocturne que l’invitation de Pénélope ! Invitation, non pas au voyage, mais au pèlerinage prochain que renouvelle tous les jours son invincible espérance. « Viens, Euryclée, murmure la reine,


Ainsi que chaque soir montons sur la colline
D’où l’on peut voir briller toute la mer divine...


Et la mer, en effet divine, brille, soupire aussi dans le rythme ondoyant et complexe de l’orchestre. Et pour associer à la nature l’âme triste et noble comme elle, il suffit que s’élève par instans au-dessus de la surface sonore, une note ou deux, pas davantage, mais si vives, mais si prenantes ! de regret et de désir.

Dans son Motu proprio, célèbre autant que mal obéi, du 22 novembre 1903, sur la musique d’église, le Souverain Pontife, ayant à définir la mélodie, ou plus exactement le solo mélodique admissible en cette espèce de musique, le qualifiait d’ « accenno, o spunto melodico. » Cela signifie « un soupçon, une pointe. » La musique de Pénélope, et cette musique entière, autrement dit chacun des élémens dont elle se compose, offre ce caractère de réserve et comme de modicité. Plutôt que d’insister, elle indique ; suggérer lui plaît et lui suffit. « Opéras libérateurs, » disions-nous de certains opéras. Nous avons cru reconnaître dans l’opéra de M. Fauré quelques signes d’une autre délivrance, toute musicale celle-là, qui viendra sans doute, mais qui tarde. Pénélope elle-même aura moins longtemps attendu. Cette musique encore une fois (la musique de M. Fauré) ne surabonde pas. Elle semble craindre de s’étendre et de se déployer. Mais autant que de s’en plaindre, n’y aurait-il pas lieu peut-être de s’en applaudir ! Tant d’autre musique aujourd’hui nous accable et nous étouffe, accumulant à l’infini les causes sans effet et les moyens sans but, ajoutant, ajoutant toujours aux forces vaines les formes vides ! Polyphonie surtout, que de crimes on commet en ton nom ! Serions-nous