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prétendans, reproche à la reine les délais qu’impose à leurs prétentions l’interminable broderie :


Depuis qu’en ce travail ta piété s’absorbe,
Bien des fois le soleil a parcouru son orbe,
Et les doigts de l’aurore ont éveillé souvent
La forêt endormie auprès du mont rêvant.


Le paysage poétique n’est rien auprès du paysage musical, où, défaillant de note en note, par tierces successives, la voix et l’accompagnement, le chant et les accords, — ceux-ci délicieusement dégradés et fondus, — ont l’air eux-mêmes de dormir et de rêver. Pénélope alors de répondre seulement : « J’ai tissé de mes mains pour le père d’Ulysse ce linceul... » Et l’intonation de sa réponse, et même, avant qu’elle réponde, quelques notes d’orchestre, lentement étagées les unes au-dessus des autres, suffisent pour déployer, avec le suaire étendu, l’immense, la mystérieuse mélancolie dont il est le symbole. « Ne forçons point notre talent... » Parce qu’il n’a pas forcé le sien, le musicien du premier acte de Pénélope a tout fait avec grâce. Et cette grâce est noble, elle est triste, — le sujet la voulait telle — et, même ingénieuse, toujours elle attendrit. Si Pénélope, se croyant seule un moment, détisse, furtive, le funeste tissu, quelques notes échappées (sont-elles de flûte ou de harpe ?) semblent se défaire comme les points. Mais elles signifient autre chose encore. Par leur ton ou leur mode, par l’harmonie qui les enveloppe, enfin par les soupirs, que çà et là elles interrompent, de l’ouvrière ennemie de son fatal ouvrage, elles ajoutent, ces notes, perlées comme des larmes, au trait pittoresque et spirituel, un autre trait, qui va plus loin, de sentiment et d’émotion.

Quelques périodes lyriques, d’un lyrisme volontairement retenu, forment dans le courant de l’acte comme des îlots délicieux. Un intermède chorégraphique, de peu de durée, se partage pour ainsi dire en deux couplets. Le premier est seulement dansé ; dans le second, la voix de Pénélope entrelace avec les motifs sinueux de l’orchestre, une adorable plainte, avivée à la fin par un beau cri de fidèle, d’amoureux espoir. En l’une et l’autre strophe, on doute si la mélodie ou l’harmonie est plus subtile. Et l’union, l’unité des deux élémens est si étroite qu’on ne saurait les séparer, qu’on ne les perçoit, qu’on ne les conçoit même qu’ensemble. Tout cela est fin, jamais on ne saurait trop le redire, et tout cela sait être profond : témoin certain lied encore (il n’y a décidément pas d’autre mot), où, religieusement pensive,