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vagues soupçons, en pressentimens secrets, non moins vite évanouis. Tout baigne ainsi : les pensées, les passions, et les discours mêmes, dans la demi-teinte et le clair-obscur. Or c’est là justement l’atmosphère, un peu voilée où M. Fauré se complaît ; c’est là, de son art et de son âme rêveuse, le domaine choisi, mystérieux.

Il n’est pas vrai cependant qu’on ne puisse trouver dans Pénélope une seule touche énergique. Nous y signalerions jusqu’à deux raccourcis qui ne manquent pas de vigueur. L’un est la brève acclamation des bergers reconnaissant leur maître. Le geste sonore, car il n’y a là rien de plus, est soudain, juste, et, par sa brièveté même, efficace. L’autre moment n’est pas moins beau et dure davantage ; Gœthe aurait dit : il s’arrête. C’est, au début du dernier acte, une phrase, mieux qu’une phrase d’Ulysse, méditant sa vengeance prochaine. La période, par extraordinaire, a de l’ampleur, avec une force contenue, mais sensible ; le rythme en est solide, la déduction mélodique originale, et terminée, ou plutôt couronnée au sommet, par un vigoureux accent. Et tout cela donne bien l’impression du retour, de la rentrée, secrète encore, mais bientôt manifeste, d’un personnage héroïque et longtemps caché, dans ses droits, son rôle et son caractère ou sa nature de héros. L’épilogue enfin permet, pendant quelques instans, à la musique de se donner carrière. Le dernier chœur, dont Ulysse et Pénélope sont les coryphées, achève l’ouvrage par un lumineux cantique d’allégresse et d’amour. Il y a là, — toutes proportions gardées, — quelque chose qui rappelle un peu l’action de grâces finale d’un Fidelio, d’un Freischütz, de ces opéras qu’on a quelquefois nommés, à cause de leur conclusion généreuse, vraiment libératrice, les « opéras de la délivrance. »

Le premier acte de Pénélope est de beaucoup le plus complet. Il est aussi le plus caractéristique. Il n’existe que par les détails, mais tous les détails en sont précieux. Le caractère de l’héroïne est posé dès les premières notes, peu nombreuses, mais qui suffisent, tant elles sont riches de pensée et de sentiment, lourdes de souvenir et de tristesse. D’un bout à l’autre de l’acte, les personnages, principaux ou secondaires, et les choses mêmes, l’atmosphère, ou, comme on dit, improprement d’ailleurs et contrairement à ce qu’on veut dire, le « milieu, » en un mot le tableau tout entier, est fait de touches un peu minces, un peu courtes aussi : taches, si l’on veut, et hachures. Il y en a de mélodiques, d’harmoniques, d’orchestrales, mais chacune a son effet. Il n’en est pas une seule qui ne concoure au dessin, au modelé et à la couleur de l’ensemble. Eurymaque, un des