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attirée. Ulysse ensuite, resté seul avec le vieil Eumée et les pâtres, se fait reconnaître par eux, n’exigeant d’eux, pour aujourd’hui, que leur silence, et, pour demain, que leur secours.

Troisième et dernier acte : sur le conseil de l’ingénieux étranger, Pénélope impose aux prétendans l’épreuve de l’arc. Vous en savez l’issue, et la victoire de l’époux. A peine achevé, dans la coulisse, le massacre de ses compétiteurs, Ulysse reparaît, non seulement rajeuni, mais revêtu d’un militaire et somptueux uniforme. L’âge, l’aspect, la toilette, en un instant Minerve protectrice a tout renouvelé. Sur ce dernier point on a seulement trouvé qu’elle avait trop bien fait les choses et costumé son héros en sujet de pendule, en guerrier d’opérette plutôt que d’opéra.

A propos de Pénélope, — il s’agit maintenant de la musique, — on pourrait citer une fois de plus, avec une variante, un contresens au besoin, le fameux vers : Humanum paucis vivit genus. Il suffirait de le traduire ainsi : « Le genre humain vit de peu de chose. » Autrement dit, peu de chose est nécessaire pour qu’il y ait, en musique du moins, de l’humanité et de la vie. Et sans doute la vie dont une Pénélope est vivante ne surabonde et ne déborde pas. Elle ne se manifeste ni par de vastes développemens, ni par des effusions prolongées, ni par des éclats retentissans. Discrète, cachée, mystérieuse même, elle ne se révèle à l’auditeur, et plus encore au lecteur attentif, que par des mouvemens modérés, des traits choisis, des accens toujours justes, souvent profonds. Et cela est fort bien. Nous n’attendions pas de M. Fauré, se faisant le musicien d’Ulysse et de Pénélope, un « drame lyrique, » encore moins un « grand opéra, » mais plutôt un poème élégiaque, une série d’impressions ou d’esquisses sonores, un album de lieder, mélancoliques et nobles comme Pénélope, et, non moins qu’Ulysse, ingénieux. C’est presque cela que nous avons eu. Presque, non pas tout à fait, peu de pages de Pénélope étant aussi développées, et, comme on dit, « poussées, » que les Berceaux, par exemple, ou les Roses d’Ispahan, ou tel autre chef-d’œuvre d’un genre où M. Fauré depuis longtemps ne craint pas de rival. Moins que des lieder : des demi-lieder, ou des quarts de lieder, c’est ainsi qu’on pourrait définir la nouvelle œuvre de M. Fauré. Au surplus, aucun sujet n’offrait une affinité plus étroite avec la nature du musicien. L’action, — l’action intérieure, la seule qui compte, — se passe ici, jusqu’à la scène finale, entre l’époux qui craint d’être reconnu et l’épouse qui ne le reconnaît pas. Les péripéties, légères, ne consistent chez l’un, qu’en réserves, réticences, furtifs mouvemens aussitôt réprimés ; chez l’autre, en