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subi de très grande pertes à Mars-la-Tour et ont besoin de secours. Va-t-il courir de ce côté ? Il s’en garde ; il ne se croit pas autorisé à enfreindre l’ordre de s’avancer sur Saint-Mihiel et à compromettre ainsi peut-être le plan général de son chef. Il arrête ses troupes et envoie un officier au quartier général, demander la permission de marcher au canon. Il la reçoit après trois heures du matin. Aussitôt il ordonne à ses troupes de tourner le dos à Saint-Mihiel, de déposer les sacs et d’aller au pas accéléré vers Mars-la-Tour. La même activité se déploie dans les autres corps.

Le prince Frédéric-Charles (3 h. 3/4 du matin, le 17 août), puis le Roi, avec Moltke et son état-major (6 heures) se rendent à Flavigny et ils délibèrent, en parcourant du regard le champ de bataille, sur l’emploi qu’ils vont faire des sept corps qui vont arriver. Avant tout ils essaient de découvrir la direction qu’a prise l’armée française. A-t-elle continué sur Verdun par Mars-la-Tour ou par Briey, ou s’est-elle repliée sur Metz ?

Le. Roi et Moltke, impatiens de sortir de leur incertitude par la poursuite et le contact, voulaient, au fur et à mesure que les renforts arriveraient, les lancer sur nous. Mais Gœben, le commandant du VIIIe corps, représenta que ce serait de la folie : « Les troupes qui ont combattu hier, leur dit-il, sont si épuisées qu’elles ne comptent pour ainsi dire plus[1]. » « Hommes et chevaux sont exténués, disait Goltz, la plupart n’ont pris aucune nourriture depuis la veille ; certaines unités ne comptent plus qu’un très petit nombre d’officiers, les munitions font encore défaut, on constate d’ailleurs le relâchement qui succède toujours à une période de grande surexcitation[2]. » Et le prince de Hohenlohe : « La cavalerie est trop fatiguée pour faire des reconnaissances[3]. »

Moltke et le Roi furent frappés par cette considération et se rendirent. « Si à la vérité, dit Moltke, les têtes de colonnes avaient pénétré à la lisière septentrionale du bois des Ognons, si le VIIIe corps était posté à Gorze prêt à marcher, et les IXe, IIIe et Xe en marche, on ne pouvait compter que pour le lendemain sur sept corps d’armée et trois divisions de cavalerie et, pour la journée du 17, il fallait renoncer à une attaque quelconque. »

  1. Général Gœben, Lettres à sa femme.
  2. Von der Goltz, les Opérations de la IIe armée, p. 103.
  3. Prince de Hohenlohe-Ingelfingen, Lettres sur la cavalerie.