Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fausses. Il lui laisse toute sa variété complexe, tout son détail. Dans les pays où l’atmosphère est pure, on voit jusqu’à l’horizon la quantité des objets qui font le paysage ; et, plus petits par l’effet de la perspective, les plus lointains sont aussi nets de ligne et de dessin que le premier plan. Le regard saisit une large étendue ; et il examine chaque point du vaste décor sans perdre la vue de l’ensemble. Ainsi se découvre à nos yeux la pensée de M. Marcel Prévost, la pensée des Anges gardiens.

Elle est servie par un style aisé, absolument limpide, qui ne cherche ni les mots rares, ni les jolies singularités, ni les prestes arrangemens où triomphe une virtuosité inutile. Les artifices d’une concision paradoxale, cet écrivain ne les admet pas ; il évite aussi une extrême abondance, chargée de coquetteries : et il garde la mesure. Il ne cède pas aux tentations verbales. Son langage est celui de la causerie, mais attentive, soignée, très élégante. Cette simplicité naturelle a beaucoup de charme et de séduction.

Le récit des Anges gardiens, avec un grand nombre de personnages et un grand nombre d’épisodes, se déroule à merveille. Les intrigues se mêlent, s’enchevêtrent, comme dans la vie, mais sans nulle confusion. Et, si l’auteur supprime cette confusion qui est le caractère de la réalité, il n’aboutit pas à des régularités irréelles. Il tient compte du hasard. Il a l’esprit de géométrie ; mais il a l’esprit de finesse et il entre dans la complication subtile des cœurs et de la destinée. A tout moment, l’on sait où l’on est, l’on sait où l’on va. Il n’est pas un des personnages qui tout à coup se présente et qui déconcerte, comme un intrus : on l’attendait. Il n’est pas un des épisodes, interrompu quelque temps par un autre et qui, à son retour, n’éveille tout le souvenir que les nouveaux incidens réclament, pour qu’on en voie et la logique et la fantaisie. Les incidens se groupent et le roman va son train, sûr et paisible, sans nulle monotonie, avec une forte continuité. L’ordonnance du livre est une réussite excellente ; et le talent de composer ne peut être mené à plus de perfection.

Le passage d’une scène à l’autre est rapide ; et chaque scène a tout son espace, l’emplit, ne le déborde pas. Elle ne trouble pas l’économie de l’ouvrage. Elle a ses attaches solides, sa dépendance ; et elle a sa liberté. L’une des plus frappantes, la voici.

Nous sommes au Val d’Anay, chez les Ropart. Et il pleut, depuis des semaines. Rosalie Boisset, l’institutrice, est absente : et quand reviendra-t-elle ? Il pleut ; il tombe du ciel un morne et sempiternel ennui. Rosalie absente, il ne reste à la maison ni joie, ni jeunesse ; et