Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la thèse me paraît un peu arbitraire, dans un roman. C’est ainsi qu’où je me trompe ou le roman nuit à la thèse de M. Marcel Prévost.


Et, à mon avis, la thèse nuit au roman.

Ce roman, c’est à coup sûr l’un de ceux où l’on voit le plus évidemment la maîtrise de M. Marcel Prévost. Nul écrivain ne sait mieux agencer les élémens d’une fiction, les varier, les multiplier, conduire l’intérêt, d’épisode en épisode, jusqu’à un dénouement qu’on a redouté, qu’on souhaite. Nul écrivain ne possède mieux l’art principal et, au juste, le don spécial du romancier.

Or, il est facile de le constater, le roman français subit une crise. Certes, nos littérateurs ne négligent pas ce genre. Nombreux et rapides comme les flots sourians de la mer, les romans paraissent et disparaissent ; à peine a-t-on le temps de les apercevoir : leur stérile quantité s’anéantit. Parmi ces auteurs de romans, il y a quelques romanciers. Encore ont-ils, pour la plupart, défait l’ancienne combinaison du récit. Ce qu’on aime en eux, c’est leur individualité de poètes, de philosophes ou d’essayistes ; c’est presque toujours une qualité par laquelle ils ne sont pas précisément des romanciers. Le genre du roman se détraque, et par l’initiative même des plus charmans écrivains. Il sortira peut-être de l’épreuve renouvelé, vivifié, magnifique. En attendant, il souffre.

Qu’on veuille se souvenir du temps où, auprès de Flaubert, florissaient ensemble Émile Zola. Maupassant, les Goncourt, Alphonse Daudet. En revanche, l’histoire est aujourd’hui dans l’état de plein épanouissement où l’on vit le roman naguère. Aucun genre littéraire n’a désormais cette vigueur opulente, cette abondante liberté qui l’enrichit et ne le dénature pas. Nous avons une pléiade d’historiens analogue à la pléiade de romanciers que je rappelais. Vivace, l’histoire pénètre les divers genres : et l’on peut la considérer comme envahissante, ou se demander si les genres qui s’anémiaient n’ont pas réclamé son vaillant secours. Elle pénètre le roman : le dernier roman de M. Maurice Barrès, la Colline inspirée, en témoigne ; et aussi la Tragédie de Ravaillac, de MM. Jérôme et Jean Tharaud ; et aussi Philémon vieux de la vieille, par M. Lucien Descaves, où sont évoqués les surprenans bonshommes de la Commune ; et aussi Un double amour, par Claude Ferval, où est ranimée, comme par un prestige, la frémissante Louise de La Vallière avec ses entours royaux et religieux, avec toutes ses alarmes.

Crise du roman : le roman tourne à l’histoire. Puis il tourne à la