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où un enfant boira son remède. En procédant ainsi, M. Marcel Prévost continue la tradition littéraire que nos philosophes du XVIIIe siècle ont, je ne dis pas créée, mais consacrée. Sa tentative est légitime et a pour elle l’autorité de précédens illustres.

Il me semble pourtant qu’il y a une espèce de désaccord entre sa thèse et la forme du roman. Non que le roman ne se prête pas à l’exposé d’une thèse ; mais il se prête mieux à l’exposé des idées ou des sentimens qu’à l’exposé des faits authentiques et à leur affirmation. Or, la thèse des Anges gardiens est une thèse de réalité. M. Marcel Prévost n’a voulu présenter ni la caricature des institutrices, ni la satire de ce monde inquiétant ; il n’a voulu ni lancer une poignante invective, ni adresser au cœur de ses lectrices, mères un peu négligentes, un émouvant appel. Il prétend les convaincre par les faits. Eh bien ! les faits, en dépit de toutes les précautions subtiles que l’auteur a prises, les faits, le roman qui les environne diminue leur crédibilité. Je me fie à l’auteur et, néanmoins, je n’évite pas, en le lisant, de concevoir l’autre roman qu’il aurait pu écrire, où l’on verrait des institutrices parfaites, — il y en a, — dévouées à leurs élèves, soigneuses de leur épargner et les illusions périlleuses et les certitudes prématurées. Pauvres filles, venues de loin, séparées de leurs familles, de leurs tendresses, de leurs devoirs premiers et qui, dans des familles étrangères, savent se composer un ensemble nouveau de tendresses et de quotidiens devoirs ! Une tristesse écartée bravement, un effort souple de l’esprit, un zèle qui devient une coutume et qui garde sa spontanéité, l’invention d’un idéal pour une singulière existence : voilà leurs journées. La dureté de leur destin les a, toutes jeunes, douées d’une âme sérieuse : elle savent ce qu’il en coûte de vivre avec une grâce honnête ; elles peuvent enseigner ce qui échappe au léger entendement de Mme Corbellier. A la fin des Anges gardiens, une gentille femme dit : « Si nous avons des enfans, j’aime mieux qu’ils restent toute leur vie de petits rustres ignorans que d’ouvrir la maison à des Sandra, à des Mag ou à des Fanny ; elles nous ont fait trop de mal. » Mais, à la fin du roman que je propose, une gentille femme dirait : — Nous donnerons à nos enfans, pour leur apprendre les vertus de la pauvreté courageuse, la compagnie d’une de ces filles modestes et bonnes qui, dans l’extravagante futilité des familles modernes, sont l’aimable gravité, la douceur réfléchie, la patience.

Du reste, le roman que je propose, je ne garantis pas du tout qu’il soit plus vrai que les Anges gardiens. Serait-il moins vrai ?... Je l’imagine aussi persuasif que l’autre. Pour conclure à ce propos, le choix