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les Anges gardiens, enregistrée fidèlement, avec tous ses détails étonnans, comiques et abominables. Si M. Marcel Prévost, qui n’est pas coutumier d’agir ainsi, met dans son roman ce fait-divers et nous invite à l’y reconnaître, c’est afin que nous sentions, sous la fiction romanesque, l’exacte réalité. De cette façon, les épisodes du roman sont des témoignages et qui ont une valeur indubitable d’argumens. Authentique, Rosalie, vous le savez ; et authentique, probablement, la belle Sandra ; authentiques, Fanny et Mag. Quatre institutrices, sur quatre, à mépriser. Il y en a d’autres, oui ! M. Marcel Prévost consent qu’il y a des « exceptions : » les bonnes et honnêtes institutrices. Mais pourquoi dit-il que les bonnes et honnêtes institutrices sont l’exception ? Les quatre exemples qu’il a découverts ne lui permettent pas, remarquera-t-on, d’aller à un dénigrement si général. Cette fois encore, il a prévu l’objection : et à ses quatre exemples il ajoute les raisons qui légitiment son procédé inductif. Étudiez Mag, Sandra, Fanny et Rosalie. Vous apercevrez en elles des travers et des vices qui sont bien d’elles et qui font leur particularité ; puis vous apercevrez en elles des travers et des vices qui résultent de leur profession, de sorte que meilleures d’abord, elles seraient tout de même venues là. « Réfléchissez ! Une fille de dix-huit à vingt ans, une fille d’une certaine culture, d’une certaine éducation, quitte sa famille et sa patrie pour venir gagner son pain à Paris : c’est anormal. Oui, c’est anormal, parce que l’expatriation, à cet âge, est pleine de dangers pour elle, et que toute honnête famille ne s’y résoudra qu’à la dernière extrémité. Sur dix cas, il y en aura un où d’honnêtes parens auront délibérément envoyé à l’étranger leur fille sage et courageuse, et neuf autres cas où la fille aura quitté ses parens par coup de tête, soit que la famille fût inhabitable (remariage du père, inconduite de la mère, scandale), soit qu’une aventure galante l’eût entraînée... » Ces étrangères, à Paris, « arrachées de leur groupe social et familial, » placées dans un luxe qui n’est pas pour elles, dans une vie à laquelle rien ne les a préparées, se démoralisent, si elles avaient quelque moralité. Vous voyez donc que je puis, sans imprudence logique, étendre à la corporation le jugement que nous portons sur Mag, Sandra, Fanny et Rosalie. Restent les exceptions. Et vous, belles dames, qui préférez ne point accorder à l’éducation de vos filles tout votre loisir, vous comptez sur les exceptions. Mais, pour les dénicher, ces raretés, parmi les demoiselles détestables, que faites-vous ? Il faut voir Mme Corbellier qui demande une perle au bureau de placement le Grillon ! La scène est excellente. Mme Corbellier se dépêche avec lassitude. Cette corvée ne